Joe Casey : « La vie sexuelle des super héros ne m’intéresse pas »
Latex, collants, drogues et muscles, l’Américain Joe Casey son Bounce et son Sex.
Il a lustré ses premières armes en écrivant les sagas Hulk, les X-Men et G.I Joe. Joe Casey lance en 2000 le studio Man of action qui acquiert force de frappe et autonomie de la côte Est à la côte Ouest, grâce aux aventures animées du « super » ado Ben 10 (diffusées sur Cartoon Network depuis 2007). Un raz-de-marée générant plus de trois billions de recettes, bientôt adapté au cinéma par le producteur Joel Silver (Matrix, V for Vendetta). La stabilité financière aurait pu éloigner ce trentenaire de la sphère la plus créative, au contraire, fanboy cultivé, aventureux, il narre les aventures de l’astronaute Adam Archer devenu demi Dieu dans le cosmique Gødland (dessiné par Tom Scioli dans un style très Jack Kirby, 2005-2012), conte les pérégrinations d’un super héros républicain réac et hyper violent dans l’irrévérencieux Butcher Baker (Mike Huddleston au dessin, 2012). Il frise le trash avec Sex – immersion dans la Sexualité des années 10 par Simon Cooke, qui raccroche sa cape et fréquente la tenancière d’un club libertin – et avec Bounce – un teenager amateur de psychotropes. Les vieux super héros sont fatigués, devenus des marques, ils portent sur leur dos courbé des cahiers des charges très lourds. Ce bon vieux Joe, lui, court, une botte de sept lieues dans le mainstream et une autre dans la recherche, comme Sergio Leone au temps des westerns.
Depuis Sex, pensez-vous, comme le Docteur Wertham (censeur 50’s des comics), que Wonder Woman est une lesbienne et que Batman est en couple avec Robin ?
Joe Casey : Pas vraiment mais si c’était le cas, ce serait profitable pour la culture populaire. Pourquoi les super héros ne pourraient pas défier les attitudes sociales ? On peut raconter n’importe quelle sorte d’histoire avec eux. Mais je n’ai jamais été attiré par leur vie sexuelle. Ado, j’avais déjà assez de difficultés à faire démarrer la mienne !
Avez-vous lu La Vie sexuelle des super héros, roman de Marco Mancassola, ou les ouvrages La Jungle nue et Doc Savage his Apocalyptic life de Philip José Farmer – pour qui Tarzan et Doc Savage sont impuissants, sauf quand ils deviennent violents ?
Non. Ma principale motivation avec Sex a été mon intérêt pour les post expériences… ce qui se passe après un événement où, dans ce cas précis, une période spécifique dans la vie du personnage. Cela lui donne une profondeur qui affecte profondément ce qu’il est. On suit un super héros après sa retraite.
Alan Moore est le premier scénariste de comics à avoir inclu des descriptions « adultes ». Une influence pour vous ?
Lecteur de comics dans les années 80, la maîtrise de son art fut une influence énorme. Quand Moore a commencé à marquer les esprits, je savais déjà que je voulais écrire des comics. Être témoin d’un tel succès fut un incroyable encouragement, mais je l’associe à d’autres qui, chacun à leur manière, ont repoussé les limites de l’époque : Frank Miller (300 en 1998), Mike Baron (Nexus, 1981-1991) , Matt Wagner (Grendel, 1983-2013), Don McGregor (Detectives Inc, 1980-1985), Steve Gerber (Howard the Duck, 1973-1978, puis 2001], Harvey Pekar (American Splendor, 1976-2008) et Dave Sim (Cerebus, 1977-2004)…
Est-ce que les difficultés de Simon Cooke à mener une vie normale est une allégorie des incapacités qui traversent les relations des super héros ?
L’allégorie va encore plus loin que cela et il y en a plus d’une. Il est question de répression en général, et de ma difficulté à abandonner certaines choses… Il est facile d’y voir la corrélation entre Simon (la trentaine, des difficultés à délaisser son style de vie de super héros) et les lecteurs de comics, qui ont du mal à abandonner ce genre de lecture.
Des franchises comme Batman, Superman ou les X-Men pourront-elles un jour devenir de vraies créations adultes et fraîches ?
Probablement pas, simplement parce que ces héros sont devenus des adresses IP appartenant à de grosses firmes. Et il y a tellement d’argent attaché à leur succès commercial, qui se doit d’être constant, que la réussite artistique est la dernière roue du carrosse. Mais c’est cool, c’est ce qu’on attend des grosses sociétés concernant leur patrimoine.
Joe Casey : « Pas sûr de situer ça au rayon pop art ! »
Sex et Bounce font assez pop art, non ?
Pas sûr de situer ça au rayon « pop art ». Les comics doivent comporter une certaine part d’énergie en eux. Prenez un numéro au hasard dans une boutique de comics, on ressent une vibration en un coup d’œil. Mes livres doivent transmettre cette énergie à travers le concept, le titre, les personnages, l’histoire, le style du dessin, le lettrage, les couleurs et le design graphique de l’ensemble.
Vous aimez Charles Berberian qui a dessiné Monsieur Jean, Le journal d’Henriette, Bienvenue à Boboland. Qu’appréciez-vous dans les séries françaises ?
J’ai découvert le travail de Dupuy et Berberian en achetant le n°3 de la revue canadienne Drawn and Quaterly en 2000, qui présentait la première histoire complète de Monsieur Jean. C’était la première fois que j’entendais parler d’eux : un bon sitcom, un film de Woody Allen sur le papier, en bien plus profond et plus émouvant. Ils étaient sacrément charmants… ! Ce type de dessin a disparu des comics américains à l’exception, de temps en temps, d’histoires autobiographiques qui lorgnaient du côté glauque de la nature humaine et de ses aspects les plus profanes. Le style de Berberian nous fait pénétrer dans le monde de ses personnages de superbe manière : avec consistance et chaleur.
Comme Mike Millar (Kick Ass) et Joss Whedon (The Avengers) êtes-vous tenté de passer des pages à l’écran ?
Je ne dénigre aucun genre juste parce que quelque chose de mauvais sort. Au fur et à mesure, il y aura de plus en plus de diversité, tout l’éventail de l’identification du public : pour les enfants, pour les plus grands et d’autres. Faire venir en salle la planète entière, c’est la raison d’être d’Hollywood.
Sex pourrait être adapté au cinéma ?
On ne sait jamais… Mais je fais des comics pour qu’ils existent avant tout sous cette forme. Elle est pour moi la plus profondément satisfaisante à créer que toutes les autres formes d’art. Celui qui pense que la version cinéma de son comic est un zénith créatif n’a vraiment rien compris.
Par Jean-Emmanuel Deluxe
Sex
Dessin Peter Kowalski
Bounce
Dessin David Messina
À paraître en français prochainement dans la collection Urban Comics des éditions Dargaud.