Comme le vent du Nord, le dernier phénomène de mode vient de Belgique, et Jean-Paul Lespagnard est frais. L’année de ses 30 ans, le styliste liégeois prépare son premier défilé à Paris. Il soufflera sur la fashion week d’octobre de la couleur et de la drôlerie ajustées à des formes strictes.

Jean-Paul Lespagnard photo Antoine Asseraf

Jean-Paul Lespagnard © Antoine Asseraf

Café liégeois et tarte à la crème
Vendredi 29 mai
Le Zimmer, Paris 1er

Vous souvenez-vous du jour où vous vous êtes dit que vous étiez fait pour ce métier ?
Jean-Paul Lespagnard : J’étais avec mon père, camionneur, dans son garage et je coupais des chambres à air pour faire des corsets à mes sœurs. Je faisais des dentelles à la perforatrice mais c’était importable. A à 6 ans, je n’avais pas la notion des poches poitrine.
Il a fallu apprendre…
Oui, j’ai d’abord fait des Sciences Economiques et Sociales et les Arts Plastiques avant de me lancer dans la mode. Pendant ma formation, je travaillais au Virgin Mégastore et me suis improvisé danseur en discothèque. J’ai aussi fait du styling clientèle chez un tatoueur : des nanas venaient se faire faire un Titi et je leur disais « tu vas le regretter ».
C’est quoi les vôtres ?
Le sacré cœur de Marie ; un 5, mon chiffre fétiche ; une abeille qui joue au foot, en souvenir de ma collection La Vierge Marie joueuse de foot en 2001, qui comparaît le fanatisme religieux et le hooliganisme – ; une panthère qui se recoud elle-même et un homard dans un cornet de frites, souvenir de ma dernière collection.
Les frites, facile pour un Belge !
C’est un tissu qui ressemblait à un cornet tâché de maillonnaise qui m’a inspiré. Comme toujours, j’ai sauté la tête baissée, je n’y avais même pas pensé !
Envisagez-vous une silhouette sans humour ?
Pas pour ma marque, j’adore l’humour tarte à la crème, ça apporte de l’accessiblité. Mais je me définis comme un humoristique minimaliste. Et par minimaliste, j’entends l’essence de l’être humain, que j’essaie de garder dans mes pièces.
Quelque chose que vous regrettez ?
Rien dans mes créations, mais pour ma formation, oui. Jeune et con, je pensais être engagé en poussant la porte d’un créateur et en fait, c’est un milieu difficile à intégrer. Jusqu’au festival de Hyères [Prix du public et Prix 1.2.3 en 2008], j’ai regretté de ne pas avoir fait La Cambre à Bruxelles ou L’Académie royale d’Anvers. Mais maintenant que ça commence à marcher, c’est une fierté de réussir sans ce bagage.
Qu’est-ce qui vous a aidé ?
J’ai envoyé mon CV aux créateurs belge Dries Van Noten, Annemie Verbeke et Walter Van Beirendonck. Très différents les un des l’autres, chacun me correspond. Annemie a répondu positivement, elle sait ce que c’est que de se construire seul.
Vous avez encore une machine à coudre ?
Oui. Je l’utilise mais ne couds pas mes pièces complètement, j’ai à mes côtés une patronneuse, un graphiste, des ateliers de broderie… Je croque mes idées grossièrement et mets dans un coin ce qui n’est pas bien au cas où ça servirait plus tard.
Qu’est ce que vous préférer faire ?
Cette seconde peau académique qui moule le corps qu’est le bodysuit. Sauf que moi, j’y ajoute une marmotte avec des gants de boxe parce que c’est drôle.
Quelle pièce vous a le plus marqué ?
La collection que Galliano a fait sur Freud [en 2000], j’ai trouvé ça incroyable !
Que portez-vous ?
Un t-shirt des press day Nike ; un shirt à grandes poches rapporté de New York ; une paire d’Adidas blanche que j’avais en rouge de 17 à 28 ans ; un foulard en tissu africain acheté aujourd’hui au musée du quai Branly où je suis allé voir l’expo sur le jazz, et mon éternel sac à dos où je stock mon PC, des vêtements et des gadgets en quantité.
Comment serez-vous habillé dans un an ?
Peut-être encore tout ça. Il y a des pièces comme  les Adilettes, les modèles flip-flop de piscine d’Adidas, que je garde des années.  En ce sens, je ne suis pas une fashion victim. Je garde mon style, constitué de vêtements rapportés de voyages. Etre à la mode en ce moment est une question de personnalité.
Qui rêvez-vous d’habiller ?
Jenny McCarthy. C’est la blonde péroxydée hystérique fabuleuse qui présentait Single House sur MTV dans les 90’s. Elle sautait dans tous les sens sans être vulgaire. Aujourd’hui, elle est mariée à Jim Carrey, a un enfant autiste et parle de cette maladie dans des émissions, tout en continuant de jouer de sa personne. C’est une femme complète.
Qui a le meilleur look ?
Le bon goût est un goût personnel affirmé, donc je pourrais dire qu’Amy Winehouse est super bien habillée parce qu’elle ne fait pas de concessions. J’adore Cindy Lauper aussi, dans sa période Girl Just ‘W’  Have Fun.
Qu’est-ce que vous aimeriez voir se démoder ?
Le slim. OK quand ça moule sur la cuisse, mais pas sur le mollet. Il y a des modes qui ne vont pas à tout le monde et le pantalon droit, c’est moins risqué pour les pas minces.
Et regrettez voir se démoder ?
La casquette. Je m’en fous je continue de porter la mienne. En ce moment, j’en ai une en paille achetée à Los Angeles.
C’est quoi la prochaine tendance ?
Je n’ai jamais réussi à comprendre d’où naît ce phénomène. Nous, créateurs, on est aiguillés par les tendances des tissus des salons, eux-mêmes aiguillés par les tendances des fils. Et les bureaux de styles se basent sur nous ! On s’informe de ce qui se passe dans le monde, en art, en musique, dans la rue… Et on passe pour des voyants.
Alors grand mage ?
On va retomber sur les matériaux brut, résistants. Effet de la crise : en déco, la couverture revient à la mode parce que ça protège le canapé et on créé des modèles avec des manches, comme des aubes. La crise pourrait aussi faire revenir les chaussures compensées – la semelle s’use moins vite –, ou les jupes courtes – pour économiser du tissu.
Pas trop de problèmes de budget ?
Je me dis que c’est aussi une bonne période pour commencer. Quand ça reprendra, on en profitera. J’ai toujours été optimiste.
C’est un handicap de porter un prénom d’une autre génération ?
Je n’y prête pas attention. C’était ça ou Bernard, qui ne m’aurait pas déplu non plus. On m’aurait comparé à Wilhelm plutôt qu’à Gaultier.

Entretien Magali Aubert – Standard n° 24 – juillet 2009