Fantaisiste héritière du tropicalisme, la brésilienne Cibelle, 32 ans, rend hommage à l’exotica des années 50 avec le joyeux Las vênus resort palace hotel, entre orchestration pop et reprises pacifiques.

D’où vient l’idée d’un album concept autour de l’apocalypse sur fond d’exotica ?
Cibelle : Je ne le qualifierais pas d’album concept. C’est un disque épique avec de l’humour et des images bariolées, un hôtel glauque comme on en trouve aux abords de Las Vegas, des singes et des femmes kitsch et clinquantes comme dans les soap operas américains des années 80. Je n’ai pas peur de paraître ridicule, la grandiloquence a du bon. Ça permet de raconter de petites histoires construites autour d’un décor et d’une atmosphère.
Le nouveau Gorillaz, Plastic Beach, surfe sur la même idée : après la fin du monde, le groupe se serait réfugié sur une île en plastique au fin fond du Pacifique sud.
[Surprise] Ah vraiment ? C’est un sujet tellement à la mode. J’ai voulu donner une version fun de la fin des temps.
Tu dis explorer l’exotica pour « répondre aux préjugés qu’ont les gens sur ta nationalité » ?
C’est vrai. On a tendance à définir l’exotisme dans son acceptation seulement tropicale. Si je suis exotique, je le suis avant tout dans mon individualité, pas uniquement parce que je suis Brésilienne. J’ai grandi dans un building de São Paulo et j’ai fréquenté des clubs. Là-bas, il n’y a ni samba ni carnaval, ni « Oulala ! ». C’est une jungle urbaine plus proche de New York que de Rio. Quand j’ai réfléchi à la tonalité du disque, je me suis dit : « Ils veulent de l’exotisme ? Et si je leur
donnais de
l’exotica ? ».
La reprise de Lightworks de Raymond Scott est donc un clin d’œil
au genre ?

On peut dire ça. Un ami m’a fait écouter cette chanson me disant qu’elle collerait au thème de l’album. Coup de cœur immédiat. L’exotica défend un idéal de fraîcheur qui me correspond bien – une musique mélodique et riche en textures.
Tu reprenais déjà Caetano Veloso, Tom Jobim ou Tom Waits dans tes disques précédents.
Je ne suis pas obsédée par l’idée de faire que du neuf. Le plaisir de me sentir libre, de faire des trucs sans réfléchir, voilà ce qui me motive. Je ne suis pas une théoricienne de la pop. J’écoute toutes sortes de choses et le hasard tient une place importante dans ma musique. Les reprises sont des escapades fortuites et heureuses.
Comment concilier les empreintes de bossa, de samba, de jazz et d’électro ?
Le mélange permet d’ouvrir toujours plus le champ de la création. J’exprime le plaisir d’être nourrie par des musiques qui sont nées dans le passé, remises au goût du jour. La musique brésilienne est vaste parce qu’elle draine des enjeux esthétiques fascinants. Il y a mille façons de faire vivre ce patrimoine culturel.
Cette vision kaléidoscopique te rend singulière ?
[Elle soupire] Aujourd’hui, la forme prime sur le fond. Avec Las Vênus Resort Palace Hotel, j’avais envie de me surprendre moi-même : aller à l’opposé de ce qui peut me ressembler, fuir les courants branchés rapidement faux et formatés. Refaire The Shine of Dried Electric Leaves [son précédent album, 2006] aurait été facile. Je creuse une autre voie.
Dirais-tu que ta musique est instinctive ou, au contraire, réfléchie ?
Je cultive la spontanéité. J’imagine un univers et une texture avant de les explorer sans trop réfléchir. Rationaliser donnerait un résultat froid et sans âme. Quand je m’enferme en studio, je m’entoure de plantes et là, j’ai la vision de l’arbre que j’aimerais voir grandir. Idem pour le choix de la langue : l’anglais est aussi naturel que le portugais. J’évite seulement ce qui n’est pas émotionnellement sincère.
O futuro ?
Avec un copain, je viens de monter un groupe appelé Me Tarzan, You Jane ! De la musique funny dark, un son très heavy… avec des mélodies tropicales.

Cibelle : « J’ai voulu donner une version fun de la fin des temps. »

Cibelle : « Quand je m’enferme en studio, je m’entoure de plantes et là, j’ai la vision de l’arbre que j’aimerais voir grandir. »

Le disque
Apocalypso
Sous le pseudonyme de Sonja Khalecallon, la gracieuse plante carnivore Cibelle Cavalli Bastos, accompagnée d’un big band baptisé Los Stroboscopious Luminous, ouvre en grand la serre oubliée de l’exotica. Et même si le résultat est plus abouti qu’une ébauche parodique, ce troisième album est à prendre au deuxième degré. La folie douce qui habitait la demoiselle sur Cibelle (2003) et The Shine of Dried Electric Leaves (2006) n’est plus perceptible que par éclats. La voix envoûtante, mais domptée, ressemble à un diamant qui se refuserait à briller, tandis que ce sens de l’interprétation, élégance hagarde, se trouve un peu lésé par une production consensuelle.

Le pastiche fastoche est néanmoins évité grâce à la magie de quelques perles : Sad Piano joue une partie d’équilibriste entre retenue et confidence, et les reprises de Under The Mango Tree, (fredonné par Ursula Andress dans James Bond contre Dr. No) et de It’s Not Easy Being Green (la chanson de Kermit du Muppet Show !) retrouvent une candeur inédite passée à la sous le souffle chaud d’une rafale pacifique. Comme dirait Paul McCartney, Cibelle, ma belle, sont des mots qui vont (quand même) très bien ensemble.

Par Fanny Menceur
Photographie Blaise Arnold, stylisme Olivier Mulin – Standard n° 27 – avril 2010

Las Vênus Resort Palace Hotel
Crammed Discs