Gonçalo M. Tavares : questionnaire de Bergson à un graphomane pépère.
Désireux, après plus de quarante ans sur Terre, de « rendre hommage aux Lusiades de Camões » (poète portugais, 1525-1580), Gonçalo M. Tavares nous conviait à l’automne dernier à effectuer Un Voyage en Inde – une épopée du xxie siècle rédigée en vers libres, aussi moderne que futée. Or, quand l’auteur de Jerusalem (2004), puis – qu’il soit mille fois béni – d’Apprendre à prier à l’heure de la technique (2010), vous ouvre la porte de son âshram, rien à faire, vous le suivez.
Comment vous représentez-vous l’avenir de la littérature ?
Gonçalo M. Tavares : La littérature avance et recule constamment. Heureusement, je dirais : reculer c’est revenir aux classiques, à la base. Mais il est évident que la littérature change, comme les autres formes d’art, souvent du fait des innovations techniques. Depuis l’invention du cinéma et de la photographie, l’écriture est une autre conscience de l’image. L’art de décrire a dû s’adapter.
Cet avenir possède-t-il une quelconque réalité, ou représente-t-il une pure hypothèse ?
Je ne perçois pas tout ceci comme une ligne droite, en progression. La littérature doit garder ses caractéristiques, pas changer pour changer. Comme la lecture, elle renvoie au silence, à l’isolement et à la concentration. Dans les livres numériques, la possibilité de filer ailleurs via des liens hypertextes ruine précisément ce contrat : au sens littéral, si l’attention se porte sur deux centres différents, le lecteur n’est plus concentré.
Où vous situerez-vous au sein de cette littérature possible ?
Cela me plaît de plus en plus de revenir aux classiques – à une façon lente de faire des livres.
Si vous pressentez l’œuvre à venir, pourquoi ne pas la produire vous-même ?
Seul le temps produit le chef-d’œuvre. Ce dernier résiste aux différentes générations, aux évolutions techniques. Tous les écrivains sérieux essaient de composer des œuvres qui ne s’effaceront pas en une semaine, comme une brève dans un journal – qui, lues et relues, devront toujours susciter la surprise.
Question subsidiaire : pourquoi la fascination pour le voyage en Inde, y compris dans sa dimension mystique, conserve-t-elle la même intensité qu’à l’époque de Vasco de Gama ?
L’Orient a toujours été perçu comme une réponse spirituelle possible aux questionnements et doutes européens. Mon livre démystifie un peu cela. Les Occidentaux pensent partir à la recherche du spirituel en Orient, tandis que l’Orient vient chercher le matériel en Occident. Aucun n’en ressort satisfait. La symbolique du voyage renvoie au changement : il permet à l’être humain de devenir un autre être humain. C’est à décrire les changements de Bloom [clin d’œil au Leopold Bloom d’Ulysse de Joyce], mon héros du xxie siècle, mesquin et peu admirable, que je me suis attaché.
Un Voyage en Inde
Viviane Hamy
494 pages, 24 euros