Assemblage improbable entre un personnage de Karaté Kid et une marque de lecteur de disques, le nom de ce groupe anglais retient l’attention, au même titre que leur musique électro, entachée de krautrock. Quatre ans après le glacial et psychédélique Ventriloquizzing, les quatre garçons de Fujiya & Miyagi présentent le 5 mai Artificial Sweeteners, leur quatrième album. L’occasion de se rafraichir la mémoire avec un interview de janvier 2011 (Standard n°30).

Fujiya & Miyagi

C’est quoi ces histoires de ventriloquie ?
Fujiya & Miyagi : Si les marionnettes nous ont beaucoup influencées visuellement, on leur préfère une dimension symbolique plus que littérale – l’idée que les gens puissent communiquer « par ventriloquie » sans réellement échanger. J’aime bien aussi l’image d’une poupée rebelle et jalouse, comme dans Le Mannequin du ventriloque du réalisateur brésilien Alberto Cavalcanti, tiré du film à sketchs anglais Au Cœur de la nuit [1945]. Les marionnettes de notre pochette représentent une barrière entre l’auditeur et ce qu’il écoute, une protection contre la critique et la flatterie, et la performance elle-même. On se cache derrière. Elles ne vieillissent pas et ce sera moins gênant pour nous si elles prennent de la place, voire la place centrale, dans nos visuels et nos clips.

Ce troisième album est globalement plus sombre. Pourquoi ?
Ce serait absurde et malsain de composer la bande-originale d’une fête qui n’existe plus. Bien sûr, l’envie d’essayer de créer des échappatoires est présente, mais la musique doit refléter son environnement. Le contexte actuel en Angleterre, avec les mesures d’austérité de David Cameron et l’augmentation des frais de scolarité, ne pas seulement énerver les étudiants : la musique va se politiser quelques années, jusqu’à ce que la situation devienne vraiment difficile et qu’on retourne à nos tentatives d’évasion. Mais il est plus efficace d’écrire le sarcasme et la colère que de décrire la joie et l’hilarité : la musique en mode mineur offre davantage de caractère qu’en mode majeur.


Fujiya and Miyagi, The Black Watch, Pop Levi | Tuned In by KCRW TUNED IN Nic Harcourt

Fujiya & Miyagi : « Si l’on tourne autour d’un groupe d’arbres à Chanctonbury Ring, le diable apparaît et vous offre un bol de soupe. »

Idem pour vos textes ?
Ce sont effectivement des observations, plus que de simples fictions, à l’exception de Milestrone, tiré d’une vieille légende anglaise : si l’on tourne autour d’un groupe d’arbres dans le sens inverse des aiguilles d’une montre à Chanctonbury Ring (West Sussex), le diable apparaît et vous offre un bol de soupe. Oui, globalement, l’album est négatif, malgré quelques éclats lumineux.

Vous répétez  « there is no sense to the universe », vous y croyez ?
A vrai dire, je chante « there is no center of the universe ».

Oups.
L’astronome américain Edwin Hubble a établi que l’univers était en expansion, donc dénué de centre. L’univers peut faire sens, mais pas trop…

On sent une forte influence du krautrock à la Wire. Vrai ?
Très. C’est d’ailleurs pour ça que le bassiste Matt Hainsby nous a rejoints [en 2005]. Notre influence germanique est évidente : le sixties et les seventies sont là, avec ces guitares fuzz et ces synthés. Mais on ne cherche pas à sonner rétro.

Justement : la musique électronique a-t-elle encore quelque chose à dire?
Elle est sur le point d’accoucher de quelque chose de réellement excitant : des types comme James Blake, Dylan Ettinger, Emeralds, Umbero, Expo 70 sont plein de promesses. Le genre a énormément de points communs avec la musique indienne, dans ce perpétuel balancement entre le passé et le présent… contrairement à la pop et au rock dont chaque mouvement doit être en réaction au précédent. L’électro dit ce qu’elle veut, son potentiel est plus large que les formules éculées du rock’n’roll. Son aspect do it yourself devient de plus en plus attirant. Prévenez vos lecteurs, j’ai une bonne nouvelle : les impératifs économiques actuels vont provoquer la mort des groupes larmoyants en jeans slim.

 

Guignol’s Band

Fujiya & Miyagi Ventriloquizzing

Ce trio au nom de tandem pratique depuis dix ans des opérations de cautérisation émotionnelle sur le subconscient social électro. Autrement dit : avec de faux-airs nonchalants, Steve Lewis, David Best et Matt Hainsby méditent sur le message des Anciens (du krautrock de Can et Neu!, la robotique façon Kraftwerk, la violence sourde de The Fall et de Wire) tout en évitant les clichés de la pop clinquante en vogue de l’autre côté de la Manche. Mais s’ils s’offraient sur Transparent Things (2006) ou Lightbulbs (2008) quelques respirations (presque) funky, Fujiya & Miyagi n’ont plus envie de rigoler. Pour danser, il faudra soliloquer dans de longs déhanchements intérieurs en essayant de s’accorder à cette basse rondouillarde, mais discrète.

Non, pour apprécier Ventriloquizzing à sa juste valeur, il faudra savoir s’évaporer – se désintégrer – dans un rituel de transe sous médocs au fil de couches empilées jusqu’à épuisement (Minestrone, Sixteen Shades of Black and Blue), un peu comme si Zombie Zombie assumait une nouvelle forme de droiture germanique. Il faudra aussi épeler un par un les mantras paternels de Best jusqu’à s’engourdir la tête à défaut des jambes (Universe, Yoyo) ou s’enfoncer dans un puits psychédélique où resurgissent les guitares fuzz et les orgues de Procol Harum (Pills, puisqu’on parlait de médocs). Pas de quoi déranger les voisins lors d’une soirée qui se prolonge, mais parfait pour s’adonner à de grands éblouissements de Moog.

Ventriloquizzing
PIAS