Le « trompettiste » de la revue Décapage compose un très court premier roman sur le deuil.

On connaît Erwan Desplanques, 32 ans, co-fondateur en 2001 de l’excellent Décapage, spécialiste en fulgurances et aphorismes. On retrouve sa finesse dans un court roman aux accents graves sur l’errance d’un homme en deuil entre les Landes, Paris et le Vietnam. Nous le rencontrons chez son éditeur, L’Olivier, pour sa première interview sur le sujet : il choisit les mots avec soin, la voix hésite puis s’affermit.

Erwan des planques Franz Galo interview Standard

© Franz Galo

Si j’y suis est le roman d’une errance. Quel en est le point de départ ?
Erwan Desplanques : Le deuil. Pas seulement après la mort, mais aussi avant, lorsqu’elle devient inéluctable… J’ai construit le livre autour de glissements : la mère du narrateur glisse lentement vers la mort, et lui-même glisse de lieu en lieu : là-bas (des retrouvailles manquées avec son premier amour), ici (son quotidien) et ailleurs, en Asie, où l’attendent la perte de soi puis la renaissance.
112 pages, c’est court, non ?
Il y a cinq ans, j’avais envoyé une version de deux cents pages à un éditeur, qui m’a suggéré d’élaguer. Je n’avais pas suffisamment de recul, je me suis concentré sur le journalisme et la musique [il est aussi chanteur du groupe post-rock Sarah W. Papsun]. L’an dernier, je l’ai ressorti de son tiroir et en vingt-quatre heures, j’ai coupé une page sur deux, bazardant les adjectifs et les adverbes inutiles. Certaines, épiques, sonnaient faux, d’autres que je croyais plus faibles s’avéraient poétiques. J’avais envie de me rapprocher de l’écriture blanche de Jean-Philippe Toussaint, Raymond Carver, Christian Oster… Et comme disait Alain Robbe-Grillet : « La meilleure partie d’un roman, c’est ce qui lui manque. »
Cette concision, c’est aussi une forme d’élégance ?
Ah ! Quand on parle d’élégance, on risque une sorte de néo-académisme – le joli style, la qualité française, le naturalisme désuet façon Richard Millet… Au début, j’étais complexé de m’en tenir à une langue classique au lieu de tenter de la renouveler, comme Jean-Christophe Bailly, Eric Chevillard ou Claro. Le modèle, c’est Jean Echenoz : la phrase qui tombe juste comme un vêtement parfaitement coupé. Une écriture qui va directement à la sensation, qui montre au lieu de décrire, en laissant un maximum de place au lecteur. Et surtout, sans épate. Ce qui n’empêche pas de se faire plaisir avec un bon mot ici et là, tant qu’il reste discret et qu’il sert le propos. Au début, dans Décapage, j’étais le spécialiste de la pirouette, j’écrivais avec une trompette, avec l’impression d’être brillant, mais c’était souvent du toc. Le sens de la formule, ça fait de bons journalistes, pas de bons écrivains.
Votre personnage est plus âgé que vous – c’est plutôt le contraire, en général.
En donnant à Jacques un bonne dizaine d’années de plus que moi, je m’interdisais de tomber dans le générationnel ou le potache, même si j’avais en tête des scènes burlesques, comme ce poulpe apprivoisé qu’il achète au Vietnam. Et puis, j’aime les clochards célestes, les vieillards de Beckett, ceux qui ont une lourde valise à porter.
« La vérité n’était plus mon affaire. L’important, c’était la sensation », dit Jacques. Est-ce cela, la maturité ?
J’ai longtemps lu des auteurs éruptifs, néo-céliniens. Aujourd’hui, je suis plus sensible à Patrick Modiano. Ou Annie Ernaux, dans Les Années [2008] : « Toutes les images disparaîtront. Toutes. » On est en plein dans la sensation, et en même temps c’est de la vérité pure.
Dans Décapage, vous écriviez : « Etre raisonnable par nature mais déraisonnable par conviction. » Objectif atteint ?
Un peu. En décembre, je me suis marié et j’ai enchaîné sur un marathon de vingt-quatre heures aux Transmusicales de Rennes, le voyage de noces, les fêtes… et la sortie du livre. Et je continue à écrire. Passer des heures sur une feuille de papier alors que tant de gens que je côtoie ne lisent pas, c’est de la déraison qui me parle.

 

Le livre
Vague à l’âme et sable fin
Qu’est donc venu chercher Jacques en posant sa valise sur cette plage des Landes, où vit son ex-femme, tandis que sa mère agonise à l’hôpital ? Lui-même ne le sait pas vraiment. Et pourtant il avance, par deuils successifs. Erwan Desplanques fait exister ses personnages en quelques traits : l’ex-femme dont il découvre par bribes la nouvelle vie, la mère qui peu à peu renonce à la sienne, l’oncle bigot ou encore le collègue Denis, prisonnier de l’alcool (« Mes filles m’aiment quand je suis saoul, sinon je les ennuie. Ma femme aussi. »). Et le narrateur, bien sûr, mystère dans lequel le lecteur finit par se projeter. D’où la force que prend le récit dans sa troisième partie, entre fuite et renaissance, sur une autre plage. Image finale magnifique, de celles qu’on n’oublie pas. B. G.

Si j’y suis
L’Olivier
112 pages, 12 euros