Entre musique et littérature, Décade raconte nos vies glacées
[dewplayer:https://standardmagazine.com/wp-content/uploads/2012/06/BackInTown.mp3]
« Il est en France, il est 12h33, il est le 18 mars, il est en 2003, il est à Montpellier, il est à la banque, il est au Crédit Lyonnais, il retire de l’argent, il est à l’agence, il est au guichet, il est avec David… » Ainsi va et vient la litanie d’Anne-James Chaton, poète sonore français (voir sa carte blanche dans Standard no 29) autour duquel se sont rencontrés le ponte de l’avant-garde électro allemande Alva Noto et le guitariste expérimental anglais Andy Moor (The Ex), à l’occasion de Décade, projet live stupéfiant prenant la forme d’un livre-disque aussi conceptuel que ludique. A son origine, une salve de données froides, que collecte depuis dix ans l’homme de lettres sur la base de documents divers (tickets de caisse, relevés bancaires, etc.), prélevés sur une quinzaine de personnes. Des tableaux instantanés mis bout à bout qui créent un récit dépassionné mais éloquent d’existences sociales, auxquelles on s’identifie immanquablement.
« Dispersion prosaïque »
Cette résonance émotionnelle du ready-made poétique tient beaucoup à la performance monocorde et impassible d’Anne-James (dont le travail est passé des librairies aux clubs du monde entier après sa signature sur l’illustre label germanique Raster-Noton), court-circuitée par le théâtre sonique sculpté au rasoir par ses deux acolytes, passés maîtres des improvisations menaçantes et des structures rigides. Dans le chaos de verve et de son, le lien naît selon A.-J. C. « d’une idée, à l’œuvre chez chacun de nous trois, selon laquelle l’accumulation et la persistance créent, au bout d’un temps, de la dispersion. Une prose obstinément prosaïque peut, à un moment donné, créer de l’inattendu et du singulier, une forme de passion heureuse, qui peut retomber à tout instant ! »
Sous le lavage de cerveau textuel, une catharsis émerge peu à peu au fil des déplacements d’un photographe, d’un astronaute ou d’un assistant social. En correspondance quasi charnelle avec la bande-son, une narration se dessine même sous un « cadrage poétique » alternant moments de pression et relâchements, selon que l’on suive notre sujet en ville ou que l’on s’arrête sur un détail de son quotidien (une grille de loto, un calcul…). Irréductible jusqu’à l’étape finale, où le poète nous laisse au Japon, et en V. O., sous les derniers bleeps et soupirs glitch d’Alva Noto, sonnant le terme d’une expérience au confluent de trois pratiques très pointues, alliées pour scanner, ou mettre à nu, un certain sens de la vie.
Décade
Raster-Noton
Live!
Anne-James Chaton et Andy Moor
traduisent ta life en html
le 15 juin : La Friche, festival Sans Titre mais poétique, Strasbourg, 20h30
le 16 juin : Sonic, Lyon, 21h
et le 17 juin : festival Instants Sonores , St-Martin-du-Born, 18h.