Edward Artemiev : Tchaïkovski maquillé par le pape russe de l’électro planante en un bon coup de ballet.

Edward Artemiev Par Jean-Emmanuel Deluxe article standard

Même si nous soutenons sans hésiter – et sans cagoule rose – le combat des Pussy Riot pour la liberté d’expression au sein de la sainte Russie, leur musique a moins d’intérêt que celle d’Edouard Artemiev. Leur compatriote de 75 ans hurle moins que la meute de louves, mais compte bien plus pour nos oreilles. Looké comme un apôtre qui roulerait en DeLorean, pionnier des musiques électroniques à l’époque du rideau de fer avec l’ANS (le synthé made in Russia), on lui doit les bandes originales des plus grandes heures du cinéma soviétique, plaquant sur aéroglisseurs les visions plus ou moins inoubliables d’Andreï Tarkovski (Solaris, Le Miroir, Stalker), Nikita Mikhalkov (Urga, Soleil Trompeur) ou Andrei Kontchalovski (La Maison de fous).

Décoré de trois Nika Awards (les Oscars russes), adoubé par Vladimir Poutine (hélas), Artemiev est une légende au pays de la vodka glacée. Pourtant, comme pour brouiller les pistes, l’artiste se permet un pas de côté, voire en arrière, en revisitant à sa sauce trouble le célébrissime Casse-noisette de Tchaïkovski (1892).

Sus aux casse-bonbons
Faisant âprement le constat d’un art russe en phase semi-terminale de ronronnement accéléré, et l’expérience déçue après Black Swan (Darren Aronofsky, 2011) ou V pour Vendetta (James McTeigue, 2006) qu’Hollywood ne cesse de faire ses choux gras avec les œuvres du compositeur de Votkinsk, Artemiev prie son peuple de se réapproprier un héritage dévoyé, un patrimoine dilapidé, dans l’espoir qu’il y puise la nourriture concentrée prête à réanimer son âme en berne. Outils : une orchestration invoquant aussi bien la tradition populaire que les envolées à la John Barry, le funk électro de la Volga que la puissance émotionnelle la plus pure – en prenant soin de balayer les cynismes postmodernes d’un revers de majeur.

Bien qu’un brin réac’ (du moins en façade), le parti pris du vieux singe savant n’oublie rien de ses expérimentations les plus osées. Sa vision du ballet féerie, digne de ses meilleures fantaisies pelliculaires, dépoussière à la brosse métallique le vernis solennel pour exploser les gonds et les corsets d’une communauté bloquée dans son folklore touristique et sa vulgarité « nouveau riche ». Le roi des rongeurs, prêt à bouffer tous les casse-bonbons, c’est lui.

Par Jean-Emmanuel Deluxe

 

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