David Ancelin : « Plus besoin d’avoir une grosse moto »
Au Mac/Val, Chercher le garçon déglingue la condition masculine pour mieux la reconstruire. David Ancelin y présente trois pièces qui démontent les stéréotypes pour que la dignité virile s’incarne autrement. Nice, Agnès Varda et peinture au sable : la discussion est de bonne saison.
Comme les traits de son visage, les œuvres de David Ancelin libèrent un trouble. Il est calme. Les objets qui l’entourent semblent sauvés du sable, de l’ennui, d’une villégiature lointaine. Des Plages d’Agnès Varda, ce Rennais de 37 ans partage « la déambulation et l’errance ». La mer est accrochée derrière lui, dans son appartement du 11e arrondissement de Paris, simple et lumineux. Des livres de philo et des guides de voyages sont alignés dans l’entrée. Il est timide face à l’objectif. Il a étudié à la Villa Arson à Nice avant de choisir la capitale. Et il se pourrait que le littoral lui manque.
En introduction de l’exposition Chercher le garçon, on peut lire un extrait de King Kong théorie de Virginie Despentes : « De quelle autonomie les hommes ont-ils si peur qu’ils continuent de se taire, de ne rien inventer ? De ne produire aucun discours neuf, inventif sur leur propre condition ? À quand l’émancipation masculine ? » David Ancelin se sent peu concerné par cette critique. La question du genre n’est pas une de ses thématiques, mais elle reflète pour lui « le conservatisme dans le milieu de l’art ». Ses trois pièces au Mac/Val représentent des classiques du sexe fort : le dominant (Sans titre, lire interview), le sportif conquérant (Ashtray : une coupe de champion sportif remplie de mégots) et la dignité face à l’échec (Titanic : un gilet de sauvetage cravaté). À travers ces figures masculines déstabilisées, il revendique qu’il n’y a plus besoin d’incarner un stéréotype, « d’avoir une grosse moto ».
Vous avez vécu dix ans à Nice. Peut-on réussir en art loin de la capitale ?
David Ancelin : Oui ! Ça m’a permis de rester éloigné d’une logique de l’immédiateté et d’avancer dans une démarche s’inscrivant dans la durée. J’ai pu prendre le temps de réfléchir à la construction d’une pratique tout en ayant une activité complète : une galerie et un atelier de sérigraphie. On peut toujours se demander aussi si l’on peut « réussir » dans ce domaine sans vivre à New York, Shanghai ou Londres… tout en ayant plus de 25 ans !
Agnès Varda dit : « Si on m’ouvrait, on trouverait des plages ». On remarque chez vous un penchant pour l’eau, le plein air…
Il se trouve qu’à Nice, il n’y a pas grand chose à faire, même les rencontres sont assez rares, alors on est confronté au paysage, que ce soit un arrière plan de montagne ou le premier plan face à la mer. Cet espace infini qui nous bloque, me renvoie à mes origines bretonnes.
Dans Les Plages (2008), des installations montrent le penchant de la réalisatrice pour le jeu et l’enfance. Votre univers en revanche, est plus proche de l’adolescence.
Oui, je l’aborde par le biais du rock. A Glassbox [exposition dans la galerie parisienne en 2014], j’ai repris un titre de Murphy and the Mob, un groupe des années 70 totalement inconnu : Born Loser. Les pièces dérivaient de cette esthétique [un blouson peint, une lampe en pied boule à facettes…]. À Rennes, j’étais baigné par la musique, j’ai vécu les débuts des Transmusicales, j’y ai fondé des groupes. Je continue la musique, c’est un temps de respiration. Mais j’évite de lier mes deux pratiques, ce serait un piège. Tout comme je refuse les propositions qui lient l’art à la mode.
Mais vous le liez au cinéma, notamment avec The Train (2010)…
C’est plutôt une boucle vidéo : un train qui passe en continu sur plusieurs écrans dans le bruit assourdissant de la locomotive. J’ai aussi réalisé Deep Blue, un film en 3D [2013]. Ayant une pratique de sculpteur, la 3D m’intéresse. Elle pose des questions très étranges : comment intégrer des volumes dans le réel de manière totalement virtuelle. Stocker une sculpture monumentale sur une clé USB, c’est particulier.
Votre travail est très scénique. Toujours le cinéma?
Cela témoigne surtout du fait que j’accorde peu d’importance au discours ou la trame narrative d’une image ou une sculpture. J’aime la manière dont c’est fabriqué. Mon premier réflexe avec une peinture, c’est d’essayer de comprendre le support, la technique utilisée, comment les matériaux interagissent, quel sens crée la facture. Quand on fabrique une sculpture, on pense à la faire tenir debout, à trouver un équilibre dans ce moment avant la chute. Les objets jouent de ce postulat pour tenir dans l’espace. Au cinéma, on retrouve ça dans l’image qui est à chaque fois montée entre deux autres, dans les séquences qui doivent s’enchaîner.
L’équilibre dans la sculpture est une notion très classique…
J’ai suivi une formation classique, je ne peux pas y échapper, et d’ailleurs je ne veux pas. Ma pièce sans titre au Mac/Val, un pantalon en cuir noir avec une ceinture baissée sur des boots [2009], est le contrepied de l’athlète grec érigé en marbre blanc sur un socle. Le cuir rappelle le drapé du style classique, c’est une sorte de négatif de sa plasticité.
La série Short Cut (sérigraphies sur bois laqué commencée en 2014) est picturale. Un nouveau départ ?
C’est plutôt la musique et la littérature qui sont omniprésents. J’avais pour référence le roman noir américain, principalement Short Cuts, donc : neuf récits et un poème de Raymond Carver adaptés au cinéma par Robert Altman [1993]. Ce sont des photos du quotidien, prises lors de voyage en Chine, en Thaïlande et aux États-Unis. L’abstraction les rapproche de la peinture, oui. mais elles sont imprimées en quadrichromie comme les affiches dans le métro, ce qui confère une familiarité très loin des tableaux. Avec distance et décomplexion, on retrouve les apparats de la peinture : le bois qui donne une épaisseur comme un châssis et l’encadrement traditionnel. Je travaille la peinture comme une image-objet plutôt qu’avec des tubes. Par exemple, avec une photographie imprimée comme une sérigraphie et encadrée comme une peinture, on est à un carrefour de possibilités. Je joue sur cette ambiguïté du statut, j’aime qu’on ne comprenne pas ce qu’on voit.
Comment avez-vous intégré l’exposition Chercher le garçon ?
Les trois pièces choisies vont à l’inverse d’une affirmation ou prétention de soi, c’est d’ailleurs à l’occasion de l’exposition Born Loser dont le titre porte cette humilité, que le commissaire, Frank Lamy, les a repérées. Je ne pense pas que mes œuvres reflètent un genre.
« Stocker une sculpture monumentale sur une clé USB, c’est particulier. » David Ancelin
Ressentez-vous le changement du statut de l’homme dans la société ?
En tant qu’homme tout court, non, mais j’ai l’impression d’une légère évolution du statut de l’artiste, qui semble mieux accepté, moins perçu comme un marginal. Cette notion évolue inévitablement en comparaison du statut de la femme. Dans les pays que j’ai traversé, du Bahreïn à la Chine en passant par la Thaïlande ou les États-Unis, il reste encore beaucoup de terrain à parcourir, même en Europe. Les différences sont grandes et les raisons diverses. Certains pays sont tellement éloignés de toute considération de cette question, qu’il est complexe d’y répondre. Si la réflexion centrale de Chercher le garçon réside dans une définition ouverte et plurielle du genre masculin, elle ramène aussi au statut de la femme dans l’art.
Par Patricia Maincent
Photographie Sophie Carrère
Stylisme Mathilde Hostein
Exposition personnelle
Hôtel Burrhus, Vaison-La-Romaine
Du 5 septembre au 13 décembre
Exposition collective
La prom’ pour atelier
Mamac de Nice
Jusqu’au 4 octobre
L’expo
Le sexe fort
Ce n’est pas sur un site de rencontre que nous convie Frank Lamy avec Chercher le garçon, mais de drôles de surprises sont au programme. Dans sa quête des hommes à travers les œuvres de cent artistes masculins, il initie un parcours à contre champ du convenu. Le trait féminin ayant été âprement discuté et la définition par la sexualité très à la mode… le pendant viril était, lui, timidement abordé. Dans les salles du Mac/Val, il est gauche, sensible. Basé sur les théories féministes des années 60 (déconstruction du social contre tout type de domination), il se cherche. Il a même osé vieillir, comme le Body builder d’Olivier Dollinger : en 1998, l’artiste français invite un musclor professionnel à occuper l’espace vide de la galerie chez Valentin pendant une journée. Il le filme pour projeter la vidéo lors de son exposition personnelle une semaine plus tard. « The Tears Builders révèle 30 mn de l’errance d’un corps surgonflé, en spectacle, à la recherche d’une fonction à sa mesure. » Aujourd’hui l’Hulk a 17 ans de plus, il a vieilli mais reste épais, son pas est plus mesuré. Les marques du temps sont d’autant plus étranges que ses traits sont les mêmes sous la peau plissée et révèlent une fragilité que l’on retrouve partout ailleurs dans l’exposition. Que ce soit David Ancelin et son pantalon baissé (lire interview) ou les artistes dont Standard parle régulièrement – Claude Closky, Charles Fréger, Théo Mercier, Laurent Tixador et Abraham Poincheval…–, tous forment une proposition sans norme, qui joue avec les codes et assume la faiblesse d’avoir donné à Chercher un sens illocutoire. P. M.Chercher le garçon
Mac/Val, Vitry-sur-Seine
Jusqu’au 30 aoûtEn photo
Untitled, 2009 – Sculptures bottes, pantalon et ceinture en cuir 40x40x140 cm (sur son socle)