Viens donc faire un tour dans ma chambre !
Daniel Johnston Casper

“Casper went to hell and become hot stuff”, 2010, feutre sur papier, 21,5 x 28 cm

La vision culte et débridée de Daniel Johnston sur un mode tordu et halluciné est exposée en programmation complète (tableaux, films et concerts) au Lieu unique à Nantes. Comme sa musique, les dessins de cet « adulenfant » sont élémentaires mais impressionnants. Les motifs ont des contours bien marqués au trait noir. Des couleurs pétantes, appliquées avec des techniques d’adolescent, marqueur ou gouache, les remplissent plus ou moins exactement. Différents personnages s’y croisent, dérivés de culture pop US, revus et corrigés par une imagination délirante : super-héros bizarres, femmes à demi nues aux attributs sexuels bien marqués et autres monstres hybrides comme un homme unijambiste-trognon de pomme. Des parties de leur corps sont atrophiées, d’autres protubérantes, comme des muscles de bras ou quelques pans de graisse, des membres sont parfois isolés – des troncs, des têtes – et les yeux révulsés de sympathiques extraterrestres multicolores sortent de leurs orbites. Un masque de diable cornu inquiète brusquement, tandis que Captain America ou Hulk semblent se laisser aller à des pensées salaces. Tous ces acolytes forment la drôle de parade du cirque de l’American way of life à la menace souvent palpable. Tous flottent dans de grossiers champs de couleurs, d’étoiles et autres graphies : signes de paix ou croix gammées, taches en forme de pilules.

Démarche masturbatoire universelle
Collectionneur de comics, Daniel Johnston en reprend les principes de mise en page. Lorsque les feuilles de ses cahiers sont recouvertes se produit un effet d’horreur du vide qui dérange, synonyme de bouillonnement mental, comme une cocotte-minute pressurisée. Des bulles et des légendes flottent parfois autour des personages : « We’re Back ! », « Hey Baby ! », « So Sorry », « Who Cares? », « The Gang », « Never Laugh Or Cry Just Get High And Die ». Des commentaires et sentences directes qui interpellent comme des slogans définitifs.
Ces motifs écrits à la hâte renvoient aux mots qu’il chante, aussi. Connu pour avoir été enregistré dans sa chambre ou à l’hôpital psychiatrique, le son mauvais, mono et plein de souffle rebute tout d’abord ; puis la voix émerge, nasillarde, fragile et évidente, a cappella ou accompagnée d’un piano ou d’une guitare. S’il travaille aujourd’hui en studio, ses morceaux les plus marquants sont ceux qu’il continue de faire à la maison, au moyen d’un simple enregistreur cassette (voir Standard no 33).

Dan Johnston reste un adolescent quinquagénaire qui se raconte pour la millième fois l’histoire de son héros favori. Loin du pathétique que l’on pourrait associer à cette démarche masturbatoire, il est parvenu à une universalité, saluée par l’exposition. Son pouvoir d’écoute est immense et tout ce que la contre-culture américaine a compté de stars depuis trente ans l’admire sans bornes, de Kurt Cobain à Matt Groening en passant par Sonic Youth. Son œuvre à la force directe est un saut dans le néant – ainsi de l’épopée tragique de King Kong, érigée au rang de poème épique sacré ou de litanie incantatoire. De la musique aux images, il exorcise les spectres de terribles obsessions, cauchemars ou fantasmes, la frontière de l’un à l’autre n’ayant rien de très palpable.

Par Patricia Maincent (à Nantes)

Daniel Johnston
Welcome to my world!
Jusqu’au 20 mai
Le Lieu unique, Nantes