Sauvé par ma machine à écrire.

« Je vais plutôt vous raconter un cauchemar. Après avoir bu pendant plus de vingt ans, j’étais souvent au bord du suicide. Mais encore plus souvent, j’étais un grand problème pour mes compagnes occasionnelles et les personnes qui, un jour, avaient dit qu’elles m’aimaient. Après des mois de dépression mortelle sans picole ni drogue et de chômage sans fin, cassé et seul dans une piaule, j’ai commencé à écrire simplement pour éviter d’entendre la folie dans ma tête. J’avais besoin de faire autre chose que de nettoyer mon revolver.

En quelques jours, la colère et la folie ont commencé à apparaître sur le papier, à se dissiper de mon esprit. L’écriture est vite devenue une addiction, comme l’alcool et les drogues l’ont été. Je devais m’y astreindre chaque jour, de manière irrésistible. C’est devenu ma religion, ma femme. Je ne me sentais bien qu’assis à mon bureau, en train de marteler sur ma machine à écrire. Quand le premier roman fut fini et tapé comme un gamin l’aurait tapé, je l’ai montré à un homme en qui j’avais confiance, un écrivain. Il m’a dit que j’étais fou, en effet, mais m’a suggéré de réécrire mes quatre cents pages. « Pas de doute, tu es doué. Tu sais écrire. Mais c’est pas du tout structuré et ça se répète. Et les trucs que tu racontes sont un peu too much. Ce n’est pas de la pornographie, mais c’en n’est pas loin. Mais si ça t’évite de boire, continue. » Un an après, environ, j’ai réécrit ce roman et je suis retourné voir cette connaissance. Il a relu mes pages, posé ses lunettes fumées, et dit : « C’est moins dingue. Peut-être que t’es écrivain. »

Pour moi, écrire ne pouvait même pas être un rêve. C’était ma façon de ne pas finir timbré. Aujourd’hui, après toutes ces années, rien ni personne ne peut m’arrêter. Mon cœur et mes tripes sont pile au rendez-vous pour inonder le papier avec mes mains. Aujourd’hui, les gens me félicitent au kiosque de ma rue. La police ne toque plus chez moi. Mon fils ne court plus se cacher quand j’entre dans la maison et ces derniers jours ma femme me fait du café bien fort chaque matin. Je suis un roi. Je suis globalement en paix. J’ai l’air normal. Je commence à rêver. »

En réalité, le Californien Dan Fante, 68 ans, a vu l’intégralité de son œuvre – romans de la déglingue pour son alter ego Bruno Dante, poèmes tendres, nouvelles venimeuses et même un mémoire sur son paternel John Fante, Dommages collatéraux – (ré)éditée chez 13e Note. 2013 verra la ressortie, en mai, d’En crachant du haut des buildings (1999) puis, en octobre, de deux pièces de théâtre : Les Initiés (1997) et Don Giovanni (2006). Son nouveau livre, Point Dume, un polar, sera publié au printemps aux Etats-Unis. De plus, Charles Guérin Surville vient d’adapter une nouvelle de Régime sec (2009), Mae West, en court-métrage, avec Olivier Marchal et Cécile Cassel. R. G.