« La vérité sans sirop » de Dan Fante grâce au questionnaire de Bergson
Poète cramé du bitume de Los Angeles, Dan Fante, 64 ans, décline en huit nouvelles pétaradantes sa vie de chauffeur de taxi. Nous lui avons soumis notre célèbre questionnaire de Bergson.
Comment vous représentez-vous l’avenir de la littérature ?
Dan Fante : Je n’en suis pas sûr, Richard. Mais je sais que mon écriture marche bien chez les gens qui comprennent la passion et la douleur et les luttes auxquelles un homme doit faire face afin de s’accepter lui-même.
Cet avenir possède-t-il une quelconque réalité aujourd’hui, ou représente-t-il un pur possible ?
Kafka a dit qu’un roman doit produire le même effet qu’un coup sur la tête. J’essaie d’atteindre ça.
Vous-même, où vous situez-vous dans cette littérature possible?
Si les gens aiment entendre la vérité sans tout le sirop par-dessus, alors ils aimeront mon bordel.
Si vous pressentez l’œuvre à venir, pourquoi ne la faites-pas vous-même ?
Les gens ont besoin d’identifier leurs propres luttes. C’est pour cela que j’écris. Mes deux prochains, Bons baisers de la grosse barmaid et A Gin-Pissing-Raw-Meat-Dual-Carburator-V8-Son-of-a-Bitch from Los Angeles [bientôt publiés en France chez le même éditeur], c’est de la poésie brute. De la poésie qui vient du cœur et des tripes.
Question subsidiaire : quelles leçons d’écriture retenez-vous de votre père, ce « fils de pute sublime » à qui vous dédicacez Régime sec ?
Ecris ce que tu connais, de façon simple et avec passion.
Entretien Richard Gaitet
Le livre
« Aucun avenir »
Dan Fante revient de loin : vingt ans abonné à la picole, écrivain « déprimé, cinglé, pas loin de tout laisser tomber » et fiston sempiternellement dans l’ombre d’un authentique génie – John Fante, 1909-1983. « Pour ma petite amie de l’époque, une prof, ce que je faisais était inutile et idiot, une perte de temps. Elle était bonne en statistiques mais plus encore au plumard, avec des nichons splendides. Chaque fois qu’on avait fini de baiser, ma carrière d’écrivain revenait sur le tapis. Mon amie n’oubliait jamais de souligner que je perdais mon temps à écrire et que TOUS les écrivains américains exerçaient un emploi. Pourquoi pas moi ? Je n’avais aucun avenir. »Heureusement la destinée, cette garce, ne vous laisse jamais vraiment tout à fait tomber : un jour, Dan trouve une lettre de la chanteuse April March adressée à son paternel, une correspondance s’engage et la mignonnette lui déniche un éditeur – français – pour son premier roman, Les Anges n’ont rien dans les poches (1996). On apprend ça dans l’amusante préface de Régime sec, histoires drôles bien qu’inégales de portiers d’hôtel paranos, de Mexicaine à l’hygiène douteuse, de coup de foudre, de python de six mètres, de vieille nympho et de désintoxications foireuses, traduites avec malice par Léon Mercadet, jadis cosignataire avec Bizot de l’adaptation des Contes de la folie ordinaire de Bukowski – et puisque le vieux dégueulasse considérait Fante senior comme son « Dieu », boucle bouclée, etc. R. G.
Régime sec
13e Note Editions
144 p., 5,90 euros