Claire Duport : « Epuiser le noir et blanc »
Quand une styliste parisienne se met à la mine de graphite, ça donne des dessins amples et souples, ésotériques, occultes : de l’art déco inspiré par Memphis.
L’année dernière, Claire Duport a dessiné des montagnes aux crêtes douces mais torturées pour Standard n°34 – Explorateurs. Depuis, nous observons son travail prendre de l’ampleur dans d’autres (L’Officiel) et via des collaborations mode (Coltesse, Andrea Crews). Sa deuxième saison de customisation des lunettes Retrosuperfuture – « Après les soixante boîtes en édition limitée de cette année pour le quatrième anniversaire du concept store Corso Como à Séoul, on prépare la collection Visiva de l’automne prochain » – est l’occasion de lui demander si elle compte atteindre des sommets aussi pointus qu’une mine de plomb.
Tu étais styliste photo, poste que tu as quitté. Les deux – la mode et le dessin – étaient-ils incompatibles ?
Claire Duport : A cette époque, oui, je bossais à plein temps dans la mode et il me manquait une sorte de disponibilité pour accéder à ce que je recherchais. Beaucoup combinent très bien les deux, mais j’avais besoin de m’en défaire, naturellement. Mon envie de dessiner est restée longtemps très maladroite. Un jour, ça s’est complètement débloqué.
Depuis, tu réalises des illustrations pour des marques ou pour des magazines. Une façon de continuer dans la mode ?
Au départ, je n’avais aucune envie de mêler l’un à l’autre. J’ai mis du temps à accepter qu’on veuille porter ou publier un truc qui m’était si personnel. Finalement, ça m’a aidé à me détacher un peu de ce que je faisais, de comprendre que soit tu planques tes dessins à vie, soit tu joues le jeu et tu acceptes que cette relation ne soit plus exclusive. Arrives-tu à en vivre ? Les opportunités font que ça ressemble de plus en plus à un métier, même si à côté je fais toujours du stylisme et du consulting pour la mode et la pub. Ça me permet surtout de garder pas mal de liberté pour les illustrations. As-tu déjà refusé des projets ? Des boulots d’animation pour des clips musicaux. C’est une autre méthode, il faut s’adapter à une technique de production précise et savoir imaginer le dessin bouger.
Dans ton livre Vodun (2011), tu mets en parallèle des illustrations et de courts poèmes. Tu écris beaucoup ?
Le sujet du vaudou était si complexe qu’il me semblait plus juste de proposer deux approches. Je voulais éviter de tomber dans un simple inventaire des différents fétiches d’Afrique de l’Ouest. Donc j’ai écrit ces micro textes pour donner des infos sur les pratiques et les croyances qui prennent vie à travers tout un tas de symboles et d’incantations. Les poèmes sont liés à des histoires précises. J’étais obsédée par ce thème, j’avais vraiment besoin de le mettre à plat, de l’archiver et de l’évacuer.
Tes dessins sont très minutieux, de l’ordre de l’obsession, on a parfois l’impression qu’ils sont réalisés en état de transe…
Quand je dessine, je rentre dans une phase complètement obsessionnelle qui peut durer plusieurs jours. Je suis incapable de travailler par petites séquences, j’ai besoin de savoir que mes prochaines journées seront entièrement dédiées à ça, sans quoi je ne peux pas commencer. Cette mise en condition m’aide à développer le sujet. J’essaie de faire des choses simples, mais je n’y arrive pas du tout. Je suis capable de dessiner minutieusement pendant des jours, mais je n’ai aucune patience pour faire un croquis ou synthétiser une idée.
Tu es allergique à la couleur ?
Ce serait une toute autre démarche, bien plus complexe qu’un exercice de composition en noir et blanc. Il faut se laisser le temps d’y arriver spontanément ou même accepter de ne jamais y arriver. Pour l’instant, je prends le noir et blanc comme un exercice de style, pour explorer les probabilités, étendre les combinaisons, épuiser les techniques.
Ton style évoque celui de l’illustrateur et designer graphique art déco américain William Rowe. Tu connais ?
J’aime beaucoup. Surtout sa démarche, qui est d’explorer et d’étendre au maximum son sujet. Au-delà d’un résultat final, ce qui m’intéresse chez les illustrateurs ou artistes en général, c’est la quête derrière le plastique, le scientifique, le mystique. J’aime croire qu’il y a toujours quelque chose qui motive la nécessité.
Entretien Julie Benoist, illustration Claire Duport, représentée par 2DM Management
Vodum Automatic Books
24 pages, 10 euros