Chris Esquerre : « Ne pas devenir un industriel de l’humour »
En 2009, Chris Esquerre confiait sa “tétanie” pour la scène. Cinq ans plus tard, l’ex-chroniqueur de l’Edition Spéciale de Canal+ triomphe aux Bouffes Parisiens dans son costume de conférencier je-sais-tout, assénant ses théories aberrantes et irréfutables jusqu’au 28 juin. Dans Standard n°25, cet adepte du non-sens en chemisette de banquier de province évoquait son autre terrain de prédilection : le petit écran.
Te voilà à la barre de Télé Oléron. Qu’est-ce donc ?
Chris Esquerre : Une télévision locale dont je suis le directeur des programmes et l’unique intervenant. Au-delà de la plaisanterie, deux minutes par semaine, j’envisage une chaîne entière avec une liberté totale. A la fin de l’émission Pop Com, on bascule dessus comme si quelqu’un trifouillait votre antenne – une obligation. On tombe à un moment aléatoire, ce peut être un film, une pub, un débat sur De Gaulle intime, parfois de vrais invités dont j’annonce les révélations exclusives… puis retour sur Pop Com. Ce n’est pas vraiment de la parodie. Plutôt de la pure fantaisie – avec du sens, sinon ce n’est pas drôle.
Deux minutes, c’est court, non ?
Quand on est soigneux, c’est suffisant. Je ne veux pas devenir un industriel de l’humour. Pour faire croire à un sommaire complet, il faut plein de plans très vivants – que je mets en scène et réalise moi-même avec un cadreur malin. Je cherche aussi les musiques. Ça va être un test : cela m’entraînera-t-il vers de nouvelles formes, la télé pourra-t-elle m’accueillir ? Je le fais aussi pour voir les limites de l’innovation télévisuelle – car le but n’est pas la dérision permanente.
Pourquoi Oléron ?
Je voulais un nom d’île connue. Télé Guernesey ? Télé Ré ? C’est un léger clin d’œil au film Liberté-Oléron [Bruno Podalydès, 2001]. Le responsable de l’office de tourisme m’a contacté et je l’ai rassuré : nous n’en parlerons que de loin, je n’irai que deux, trois fois dans l’année. Mais j’espère, comme Fort Boyard, un partenariat avec la Région qui me permettra d’obtenir un hélicoptère.
Est-ce absurde ?
J’ai horreur de ce mot : trop de gens pénibles font de « l’absurde » au sujet d’une poivrière qui mange une fourchette tandis qu’un canard s’envole. Ce n’importe quoi consternant me met mal à l’aise. Tout doit relever d’une réalité. Je dirais plutôt surréaliste. Je déteste aussi « lunaire » : on dirait un ado mal dégrossi qui ferait de la poésie. Ni « hurluberlu ». Il est bon ce tartare, hein ? Un peu gras, mais bon.
Chris Esquerre : « J’espère un partenariat avec la Région qui me permettra d’obtenir un hélicoptère, comme à Fort Boyard. »
Joues-tu de ton physique un peu « tombé du nid » ? Décoiffé, mal rasé, habillé en noir ?
Je ne suis pas un éléphant ! Mais c’est vrai, je joue de gestes surannés et j’ai toujours l’air de débarquer sans me soucier des codes de la télévision. Je mise sur le fait de n’avoir aucun style. Ce n’est pas très dur d’innover à la télé : il suffit d’être un peu différent. On reprend du vin ?
Parallèlement, prépares-tu réellement un spectacle à partir de ta fameuse Revue de presse des journaux que personne ne lit ?
C’est en cours, pour 2010. Je vais m’appuyer sur la revue de presse comme fil rouge, je donne à voir un existant, ce n’est pas un monologue. Mais il y aura des éléphants.
Y pensais-tu depuis longtemps ?
Un an ou deux. C’est un passage obligé, mais ça me tétanise. Avant, l’idée de se retrouver seul dans le noir devant des gens qui ont payé pour te voir te répandre pendant une heure m’était insupportable. Et puis… à Canal, j’ai eu l’impression d’être un cosmonaute resté au sol. Il fallait que j’essaye, bien que je sois entré à la télé pour y devenir un professionnel du divertissement, pas pour investir une vitrine en vue d’un spectacle. Des producteurs m’ont approché, mais je me complique la vie : je cherche quelqu’un qui serait, idéalement, mon coach et mon mentor pour quarante ans. La rascasse, c’est pour toi ? Mes seuls modèles assumés, conscients, revendiqués, ce sont les Deschiens. Je connais aussi tous les sketchs de Coluche.
Et l’émission Repérages de comiques, présentée en septembre sur Canal+ Décalé, c’est un « Chris Comedy Club » ?
Pas du tout. Je ne les sélectionne pas, je n’y suis pour rien dans leur talent – certains sont très avancés. Je suis leur Jean-Pierre Foucault, le passe-plat : j’introduis. Je ne fais pas de sketch. C’est un one shot appelé à se reproduire et ça m’a beaucoup amusé. On en arrive à ma théorie générale sur l’audiovisuel hexagonal.
Quelle théorie ?
La télévision française est un peu frileuse avec l’humour. Les comiques restent souvent dans leur exercice restreint, alors que ne pas être exactement à sa place, c’est une garantie de divertissement. Les animateurs de jeu, par exemple, Patrice Laffont ou Jean-Luc Reichmann, ne présentent pas sérieusement, et c’est bien… par rapport à d’autres qui cherchent à créer un moment de télévision, qu’on attend scotché à l’écran, alors que tout est fait pour que ça n’arrive pas.
D’où pourrait venir ce décalage ?
Imagine un peu ça annoncé partout dans la presse : « Lundi, le JT de la Une sera présenté par un enfant de 12 ans. » Un gosse en costard-cravate, un peu doué, qui lirait très attentivement de vraies infos préparées par TF1. La France entière regarderait et les audiences se stabiliseraient à un niveau très élevé – quitte à entendre des trucs chiants, autant qu’ils soient dits par un enfant. Qui oserait ? Figure-toi que j’en ai discuté avec Rodolphe Belmer [directeur général de Canal+].
C’est un scoop ?
Non. Mais sur le principe, il a accepté de tourner un pilote où je co-présentais le JT. Ça a été testé. Pas été si probant, car en costume j’ai l’air d’un journaliste d’i‑Télé un peu spécial ou pas au point. Le décalage n’était pas assez grand. Mais j’ai adoré. Moi, je cherche à sortir de mon rôle : j’adorerais qu’on me propose le 20 Heures. Hip ! Tu ne retranscriras pas ce hoquet, hein ? —
Chris Esquerre aux Bouffes Parisiens jusqu’au 28 juin