Cécile Coulon, 21 ans et trois romans, assiste étonnée au succès de son dernier, Le Roi n’a pas sommeil, fable sans graisse sur l’égarement et la fatalité.
Cecile Coulon by Barbara Marangon

© Barbara Marangon

Les Ecuries de Joséphine, 9e arrondissement. A moins de deux jours de courir le semi-marathon de Paris, Cécile s’échauffe au soda en marge d’une impressionnante tournée médiatique. Mutine, décontractée, elle peine à ne pas sourire sur la photo, et nous offre un apéro-causerie du genre pas vraiment guindé.

Thomas Hogan, le personnage principal, sait à 18 ans qu’il ne quittera jamais sa ville. Est-il esclave de ses gènes ou de son patelin ?
Cécile Coulon : L’hérédité des lieux est importante, même si l’ADN pourri de Thomas peut laisser penser qu’il ne pourra pas s’en sortir… Au début, on se dit que pour lui, ça va aller. Il a envie de se bouger, est excellent à l’école, sa mère l’adore… Mais il va finir par se faire piéger aussi par les lieux : les trois poumons de la ville – la scierie, le commissariat, le Blue Budd bar – et son cœur, la propriété familiale. L’endroit où l’on grandit nous éduque et nous aspire, tout comme la famille.
Quels lieux vous ont aspirée, vous ?
J’ai grandi à côté de Clermont-Ferrand. Ma mère vient d’une famille de paysans corréziens : les vacances à la campagne ont nourri un tropisme pour les villages.
Votre ville imaginaire s’apparente aussi à une scène de théâtre…
Un roman est une pièce de théâtre. Qui rentre, qui sort, pourquoi ? La disparition du père laisse par exemple tout l’espace au fils. Les deux ensemble, ça aurait fait trop de types violents, qui s’éclatent la tête, ne savent rien faire et se bourrent tous la gueule comme des malades quand ça ne va pas. Les fêtes, là-bas, produisent toujours des flaques de sang.
Vous émaillez votre récit de métaphores animalières, pourquoi ?
Une bonne image en dit plus que trois pages. Les Américains expriment en un chapitre ce que nous, Français, développons sur deux cents pages – ceux qui apprécient ça, grand bien leur fasse. Ecrire un bouquin de psychologie, je ne sais pas faire. Quant à utiliser l’animal pour définir l’homme, c’est honnête et rapide, ça révèle quelque chose de profond, d’instinctif. Dans Le Guépard [Giuseppe Tomasi di Lampedusa, 1958], tous les personnages ont un animal référent : une jument, un chat, le guépard bien sûr…
Vous faites aussi un parallèle étrange entre Thomas et un tabouret…
Son objet-totem. Un tabouret, ça tient sur quatre pattes, comme un animal – qu’il perde un pied et il s’effondre. Thomas suivra exactement le même chemin.
Chemin inverse de celui de son ami Paul, qui part mal et finit par se ranger.
J’aime l’idée que le lecteur se dise, jusqu’aux dernières pages, que Paul est une enflure, un loser, une petite merde, un tocard. J’ai pris plaisir à le transformer en grand gagnant de l’histoire. Mais ça vaut pour tous. On me dit que la mère est géniale : elle cache des choses à son fils, se tape le médecin – le médecin, quoi ! –, n’aime plus son mec mais ne se barre pas… génial, ça ?

Cécile Coulon : « Des pavés qu’il s’agirait de tailler comme de la viande de kebab sur une broche. »

Pour votre précédent roman [Méfiez-vous des enfants sages, 2010], vous favorisiez déjà le format court.
Le genre que j’apprécie le plus, c’est la nouvelle. En France, on balance des pavés qu’il s’agirait de tailler, de dégraisser comme de la viande de kebab sur une broche. Chez Maupassant, ce sont les nouvelles qui m’ont le plus marquée, comme celle où un homme dans un train, assoiffé, finit par téter les énormes seins de la nourrice qui lui fait face [Idylle, dans Miss Harriet, 1883]. En trois pages, il fait rire et perturbe.
Aucun auteur français contemporain ne vise la concision ?
Si, aux Editions de Minuit : Tanguy Viel [Paris-Brest, 2009], Yves Ravey [Enlèvement avec rançon, 2010], Laurent Mauvignier [Ce que j’appelle oubli, 2011]… Courir, de Jean Echenoz [2008], c’est un truc de malade : rien de psychologisant, là-dedans, et pourtant on en sort soufflé. Sinon, dans sa poésie, Prévert dit un nombre incalculable de choses en un seul mot, rendant ainsi à ce dernier sa puissance hallucinante.
Quelques pavés à sauver ?
A l’Est d’Eden [John Steinbeck, 1952]. Il y a autant de romans que de personnages dans celui-ci. Un roman de huit cents pages qui en contient dix, ça fait dix romans de quatre-vingts pages !
C’est ce que vous visez ?
J’ai conscience de mes progrès d’un livre à l’autre, mais espère un jour parvenir à écrire un livre impossible à lâcher, à la Stephen King ou Chuck Palahniuk. Quelque chose qui te fait même culpabiliser de l’avoir lu si vite.
Aucune réserve sur le style de King ?
Une bonne histoire mal racontée, ça n’existe pas. Ou alors chez des auteurs qui écrivent plus que ce qu’ils sont capables de donner, produisant alors de la daube.
Et une mauvaise histoire bien racontée… ?
L’Education sentimentale [Gustave Flaubert, 1869] : il ne se passe que dalle sur cinq cents pages, et pourtant c’est génial.

Le livre
Sommeil de plomb
« Je ne peux pas parler de la France, et surtout pas de ma génération. Je délocalise pour être tranquille. » C’est donc dans un bled quelconque des Etats-Unis, comme dans Méfiez-vous des enfants sages en 2010, que Cécile Coulon installe la famille Hogan : le père, bon bougre mais mauvais buveur, bientôt terrassé par la gangrène ; la mère, victime complaisante et apathique ; et Thomas, le rejeton de moins en moins chétif dont on suit la biographie contrariée, début prometteur mais le mur en ligne de mire… « Un mauvais sang [roule] dans ses veines », lui assurant la greffe rapide d’« un gésier à la place du cœur », et une fin tragique en partie dévoilée dès le premier chapitre. Cent cinquante pages montées à la pince à épiler, cathédrale d’allumettes pointant tristement les sombres conséquences de l’engluement et de l’enclavement.
interview Cecile-Coulon-Le-roi-n'a-pas-sommeil
Le Roi n’a pas sommeil
Editions Viviane Hamy
152 p., 17 €