Django Django fans de Saul Steinberg
Carte blanche musique
L’inventivité de Saul Steinberg, aussi envolée que des oisillons perdus.
par Django Django en octobre 2012 dans Standard n°37
« L’espièglerie est l’une des plus grandes qualités de l’homme. Les animaux sont joueurs ; la Nature se joue de nous. Les changements météorologiques sont des blagues. Les réflexions sur l’eau sont des calembours. Et les oiseaux ! Ils se cachent dans le décor et se font remarquer en chantant ! Puis les oiseaux moqueurs les imitent. Toujours plus de confusion. Les paysages : voilà la richesse incarnée. » ― Saul Steinberg
Je n’ai pas connu le travail de Saul Steinberg (1914-1999) chez les marchands de journaux comme la plupart des Américains (à travers les couvertures mythiques qu’il a réalisées pour le New Yorker depuis le début des années 40), mais dans la moins ordinaire section « critique esthétique » de la bibliothèque de mon College of Art d’Edimbourg. C’est plongé dans le brillant Art & Illusion (1960) d’Ernst Gombrich, que je trouvai – comme des oisillons perdus parmi les crayonnés des maîtres du trait De Vinci, Michel-Ange ou Constable – ses gribouillages fantasques de chats, gratte-ciel et mondains new-yorkais. Bien que réduits au strict minimum du coup de stylo (dans une case des plus extrêmes, une photo de passeport était même représentée exclusivement par des empreintes de doigts), ces dessins réussissaient à capturer toute l’essence de leur sujet. Je me répétais, comme une énigme : « C’est incroyable que d’une telle économie puisse exsuder tant de vie. » (C’est si souvent le contraire quand on refuse le foisonnement.)
Plus tard, j’ai découvert ses couvertures pour le New Yorker, et j’ai été sidéré : Steinberg semblait tout y jeter sur la page, pour la peupler de spectacles maximalistes, joviaux et absurdes. Comme s’il avait trouvé le moyen de se maintenir perpétuellement amusé en inventant des jeux visuels, codés, à destination de ses spectateurs camarades : à quel moment ce que je révèle d’un poisson rouge permet de le considérer comme un poisson rouge ? que me suffit-il d’ajouter à une feuille de papier millimétré pour qu’on la regarde comme un immeuble ? quel contexte dois-je créer autour d’un cachet postal afin qu’il apparaisse comme un soleil ? Telles devaient être les questions qui fourmillaient dans son cerveau.
Imaginez maintenant si la création musicale pouvait faire montre de la moitié de l’inventivité des illustrations de Steinberg ! C’est notre obsession autant qu’un objectif.
En janvier dernier, le quatuor britannique Django Django lâchait sur nos papilles son premier album homonyme (Because), merveille de pop trempée dans l’acide. Leur nouvel EP Life’s a Beach est disponible par exemple ici.
Ils vont paganiser les scènes de Lyon (le 29 novembre), La Rochelle (le 30) ou Rennes (le 1er décembre), les généreux lurons arty hippies nous confient, via leur claviériste Tommy Grace, leur passion pour l’illustrateur Saul Steinberg ― sans interdire de considérer leurs constructions sautillantes comme un prolongement de ses traits les plus juvéniles.