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Standard anniversaire

Un polar shakespearien en Flandre

Sortie ciné du jour : BULLHEAD de Michael R. Roskam.

Soyons vigilants, il se passe quelque chose avec le cinéma belge flamand. A la fin de l’automne, on découvrait l’œuvre inédite en France de Koen Mortier (Ex-drummer, 2007, Soudain le 22 mai, 2010), marchant dans les traces anars et la puissance formelle d’un Lars von Trier. Courant 2012 devrait sortir L’Envahisseur, passage à la fiction de la star vidéo Nicolas Provost. Et cet hiver déboule Bullhead, premier long-métrage de Michael R. Roskam. Des films très différents dans la forme mais liés dans le rapport à leur pays. Bullhead est le plus teigneux.

bullhead matthias schoenaerts by n. karakatsanis in Bullhead Michael R. Roskam

En apparence, il s’agit d’un (excellent) polar. En profondeur, on perçoit la douleur de la scission flamande/wallonne. Tout ou presque évoque la dualité, les frontières à franchir, ou non, y compris entre les genres. L’histoire ? Dans un petit coin perdu de Flandre, un trafic d’hormones bovines part en vrille suite à la mort d’un flic. De quoi tendre une corde solide entre le meilleur d’Alain Corneau (Le Choix des armes, Police Python 357) et la testostérone du Danois Nicolas Winding Refn (lire sa carte blanche dans Standard no 33). La comparaison avec ce dernier est d’ailleurs assez flagrante : Jacky, le héros, ressemble physiquement à Mads Mikkelsen dans la trilogie Pusher (1996-2005), et moralement à Ryan Gosling dans Drive – sans compter une scène d’ascenseur, dans les deux cas des plus mémorables.

Matthias Schoenaerts, colosse vulnérable
A la mythologie du polar, Roskam ajoute celle de sa terre natale. Pour aussi contemporain qu’il soit, Bullhead invoque les tableaux les plus vénéneux des maîtres flamands, de Bosch à Rubens. Tout en faisant de Jacky un homme déchiré, comme la Belgique, par un traumatisme aussi lointain qu’insoluble ; la performance de Matthias Schoenaerts – colosse boxant contre sa vulnérabilité – est la plus exceptionnelle qu’on ait vue depuis celle de Tom Hardy dans Bronson (à nouveau Winding Refn, 2009), et Jacques Audiard ne s’y est pas trompé en l’embauchant sur son prochain film, Un Goût de rouille et d’os. Comme Steve McQueen (Shame) ou Andrea Arnold (Fish Tank), Michael R. Roskam allie style et substance, et renouvelle des thèmes aussi classiques que la trahison, la loyauté ou la destinée. Avec ceci de supérieur : sans frigidité ni snobisme d’auteur, il infiltre le cinéma de genre populaire pour y glisser des personnages d’une belle complexité, traversés par des tourments purement shakespeariens.

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