Tandis que la Belgique ne sait plus où elle habite – sans gouvernement depuis avril 2010 –, l’acteur-réalisateur Bouli Lanners lui offre avec Les Géants l’asile poétique. Autour de trois enfants sauvages en fugue, cette très attachante escapade s’invite sur les rivages de l’Amérique de Mark Twain.

Le scénario des Géants se passait initialement en milieu urbain. Pourquoi avoir changé d’environnement ?
Bouli Lanners : Je me suis rendu compte assez tard qu’en milieu urbain, la thématique de l’absence parentale allait prendre le dessus sur le film, de façon plus frontale. En basculant dans les bois, je me suis permis d’échapper à une réalité sociale implacable en faisant du récit un conte contemporain. Et paradoxalement, le thème est toujours là, en sous-texte. Mais c’est surtout un film d’aventure, initiatique, plutôt que social.
Vos précédentes réalisations, Ultranova (2005) et Eldorado (2007), comptaient déjà des personnages en prise avec l’adolescence ou l’enfance. Quand avez-vous quitté les vôtres ?
Mon innocence, je l’ai perdue depuis longtemps. Sur ce film-ci, je viens à peine de quitter l’adolescence.
Cette perte, au cœur des Géants, rappelle Les Aventures d’Huckleberry Finn de Mark Twain. La nature, les grands espaces, c’est fondamental chez vous ?
C’est petit, la Belgique. J’aime bien tourner chez moi, mais pour réinventer un autre monde. Si mes films étaient estampillés « fabriqué en Belgique », respectant une géographie existante, je serais coincé, je ne pourrais pas raconter, au hasard, l’histoire de gars qui partent en barque à la mer ou de deux types qui roulent en voiture pendant cinq jours sans croiser personne… En revanche, je ne vis pas en ermite : je reste un acteur et un témoin de notre société. Raconter les errements et les douces dérives de mes semblables est quelque chose qui me fascinera toujours.
Vous avez vécu sur une péniche. Si on y ajoute la prépondérance des déplacements dans vos films, faut-il y voir un penchant pour la fuite (ou la fugue) ?
Il n’y a jamais eu de fuite, mais plutôt l’idée d’une fuite. L’idée du voyage est parfois plus forte que le voyage lui-même. Ma péniche ne naviguait pas, elle restait à quai. Après dix-huit ans à bord, je l’ai revendue pour m’acheter une maison. Ceci dit, j’ai encore un bateau.
Par leur sociologie ou leurs décors naturels, vos deux derniers films font écho à la culture de l’Americana. Existerait-il une Belgicana ?
Il n’y a plus de Belgique, il n’y aura jamais de Belgicana.

entretien Alex Masson

Les Géants
En salles mercredi

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