Pour explorer la passion dans Les Amants électriques, le Tex Avery pour adultes Bill Plympton s’inspire des films noirs hollywoodiens des années 40. Comment s’est-il aventuré sur le terrain inédit qu’est pour lui le sentiment ? Il nous tient au jus par téléphone.

les amants electriques bill plympton interview francais

Bill Plympton fait du cinéma à l’ancienne. Dessiné main, plutôt tendance aquarelle qu’images de synthèse. Ses films (Les Mutants de l’espace, 2001) n’aiment pas beaucoup les arrondis non plus : ils sont piquants, parfois rugueux, et loin des bonnes manières. Plus proche d’un Tex Avery qui irait voir sous les jupes des filles et dans les slips des garçons que de Pixar, son dernier opus, Les Amants électriques prolonge ses thématiques fétiches (le sexe et la violence) sous un angle inattendu. Pour explorer la romance passionnelle entre une pin-up et un bellâtre, le Tex Avery pour adultes s’inspire des films noirs hollywoodiens des années 40 et ose s’aventurer sur un terrain inédit pour lui : le sentiment. Pendant la préparation du film, qui aborde la modification de la perception quand, dans un couple, l’un croit que l’autre le trompe, Bill s’est marié et a eu un enfant. Un engagement qui, d’après lui, n’a joué aucun rôle dans le tournant narratif que prend son cinéma.

Les Amants électriques détonne dans votre filmographie. C’est sans doute votre film le plus romantique…
Bill Plympton : Et aussi le plus psychologique. Les précédents avaient un ton plus fou, plus surréaliste dans leur vision du sexe et de la violence. J’ai essayé pour celui-ci d’entrer dans la tête des personnages, de me rapprocher de leurs motivations dans ce sacré foutoir qu’est l’amour.

C’est aussi la première fois que, d’une manière linéaire, vous racontez une histoire, êtes dans une forme narrative traditionnelle.
C’est ce que disent les critiques, effectivement. Pour ne rien vous cacher, ça me met un peu en rogne. Regardez les films des Marx Brothers, des Monty Python ou de W. C. Fields [le seul jongleur étoilé sur le Walk of Fame d’Hollywood Boulevard]. Est-ce qu’ils se soucient d’être narratifs ? Qu’est ce qu’on en à foutre de la narration ? Je devrais forcément me plier sens du storytelling de Pixar ? Je n’ai jamais prétendu être un bon raconteur d’histoire, mais juste un réalisateur qui sait montrer à l’écran de la folie, de la bizarrerie. Jacques Tati n’était pas un bon narrateur, ça ne l’a jamais empêché de parler remarquablement d’humanité, non ?

Alors disons que Les Amants électriques est une version surréaliste des films noirs hollywoodiens des années 40.
C’était mon idée, oui. J’aime ceux de Billy Wilder (Certains l’aiment chaud, 1959, Fedora, 1978) mais je suis incapable de faire ce qu’il faisait. J’espère en revanche, savoir donner un ton particulier à mes films, une voix singulière qui fait que le public les reconnaît.

Et pourtant, il rejoint certaines conventions, inhabituelles chez vous, par exemple le happy end, inédit, et ce que ça amène comme idée de morale.
Mais j’aime les happy endings ! Ce film est assez violent graphiquement, comme le sont les autres, mais pour une fois, personne ne meurt. C’est ma concession au cinéma américain rétro. Frank Capra (L’Homme de la rue, 1941, Un trou dans la tête, 1959) est un de mes héros. Je ne sais pas si ça rapproche mon film d’une forme de morale, mais oui, c’est l’histoire de bonnes personnes qui se retrouvent dans de gros ennuis mais qui méritent de connaître une fin heureuse. Ce qui ne m’empêche pas de lutter contre les stéréotypes hollywoodiens. S’il y a toujours eu du sexe et de la violence dans mes films, c’est une manière d’aller à l’encontre de leur cinéma d’animation qui ne veut parler qu’aux enfants. De toutes façons si je voulais entrer en concurrence avec Disney, je ne le pourrais pas. J’espère que ce film peut démontrer qu’il existe une autre manière de faire du cinéma d’animation américain, et qu’il peut intéresser un public.

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Bill Plympton : « Qu’est ce qu’on en à foutre de la narration ? »

Les films noirs hollywoodiens étaient essentiellement basés sur une esthétique (le noir et blanc, des contrastes très marqués)… loin de la vôtre, plus axée sur le mouvement.
Tex Avery ou Chuck Jones ne faisaient que ça, raconter des histoires à travers des mouvements. C’est le fondement de l’animation. Pas besoin de dialogue quand on peut faire passer les choses par des transformations, des expressions. C’est dans ce sens-là, que je voulais que les personnages des Amants électriques soient un peu plus exagérés physiquement, qu’on soit à la limite de la caricature, graphiquement. J’ai d’ailleurs été influencé par les dessinateurs de presse : grossir un peu le trait des visages, faire des gros nez, des grands yeux, sur-dessiner les muscles…

Pour autant, vous nourrissez plus que d’habitude la relation entre les personnages…
Sans doute parce que c’est un film plus personnel, inspiré de ma relation très passionnelle avec mon ex-petite amie. À certains moments je rêvais de l’étrangler et la seconde d’après de lui faire l’amour. Cette dualité m’a semblé un bon point de départ pour ce film.

Les Amants électriques
En salles le 23 avril