On a retrouvé la 6e République et une interview de l’homme qui la portait dans Standard n°15, en 2007, au moment où il fut suspendu pour un mois de ses fonctions de porte-parole du PS pour avoir plaisanté sur Canal +: « Le plus gros défaut de Ségolène Royal, c’est son compagnon. ».
On peut refaire la France, mais on ne se refait pas.
Arnaud Montebourg en 2007 Nicole Eschmann

© Nicole Eschmann

Ralliant la candidate socialiste, le vibrionnant député de Saône-et-Loire avait-il trahi ses idéaux et abandonné la 6e République ? Retour sur des propos de sept ans qui, nonobstant les alliances de l’échiquier politique, n’ont pas trop vieilli.

Où est passée la 6e République ?
Arnaud Montebourg : Elle est en préparation active dans les cartons de la candidate. Des débats ont eu lieu avec députés et sénateurs concernant le contenu du référendum qu’on lancera dans les six mois de la victoire – en réalité, plutôt pour septembre/octobre. Les socialistes avaient un projet intermédiaire, pas très clair, Ségolène va plus loin. J’ai commencé à discuter avec elle en mars/avril 2006, et nous avons progressé, vous n’imaginez pas à quel point. Avant, je n’avais rencontré que des résistances. Si nous gagnons, nous allons transformer en profondeur tout le système politique français.

Quelles nuances entre votre 6e République et celle proposée par l’UDF ?
Bayrou ne veut pas d’un système parlementaire. Plutôt d’un système présidentiel à l’américaine, un régime de paralysie, hein. Il a usurpé le terme de « 6e République ». Lisez son programme, c’est pour les pays fédéraux. Un outil pour les libéraux qui ne veulent pas que les politiques soient plus fortes que le marché.

Votre ralliement à Ségolène Royal a été perçu par de nombreux sympathisants de votre courant Rénover Maintenant comme une vraie déception. Que répondez-vous ?
D’abord, ils se comptent sur les doigts de la main. La maladie du fractionnisme est la maladie du gauchisme. C’est une attitude infantile. Ils pourront être déçus si on perd, ou si Ségolène ne fait pas ce qu’elle a indiqué ; or, pour l’instant. Tout montre qu’elle se prépare à engager une réforme profonde. [Haussant le ton] « Nouvelle République », c’est dans le projet socialiste ! On est en train de la faire avec elle ! [Criant] Qu’avaient-ils d’autres à proposer, ces déçus, à part ma candidature ? Je leur ai dit que je ne le voulais pas. A partir de là, il faut être adulte et regarder comment aller vers le pouvoir, pour nous permettre de transformer les choses.

Donc aucun renoncement à certains de vos idéaux ?
Renoncement de quoi ? [Il hurle] Où est-ce que vous m’avez vu renoncé à quoi que ce soit ? Paradis fiscaux ? Nenni. La 6e République ? Preuve que non. Il ne faut pas confondre l’alliance avec qui on défend des positions et des convictions qu’on exprime à chaque instant. Pourquoi voudriez-vous qu’elles changent ? Ça voudrait dire que je me suis trompé auparavant ? Je ne le crois pas.
Ségolène me porte – avec notre ami Chevènement, d’ailleurs. Où est l’abandon des convictions ? Sortez de votre milieu parisien. Prenez le train, lisez, étudiez, allez écouter. Les gens n’ont pas appréhendé le projet, ça c’est vrai, mais ne veulent pas continuer avec le même système unilatéral, autoritaire et impuissant.

Arnaud Montebourg : « La maladie du fractionnisme est la maladie du gauchisme. C’est une attitude infantile. »

Comment voyez-vous votre avenir immédiat ?
Le combat continue.

Quel est votre plus gros défaut ?
Mon plus gros défaut, à moi ? C’est d’être porte-parole de Ségolène Royal ! [Il éclate d’un rire tonitruant]. Elle est très bonne ! Allez, j’arrête les boutades, ça m’a assez coûté, cette affaire*.

Vous la referiez ?
C’était un message politique sous-entendant que les propositions fiscales n’étaient pas raccords entre le parti et la candidate. Je suis absolument, dans la loyauté la plus totale, dévoué à Ségolène.

Entretien Richard Gaitet & Gaspard Koenig

Arnaud Montebourg & Bastien François
La Constitution de la 6e république (Odile Jacob)

 

 

Bastien Lattanzio 6e republique

© Bastien Lattanzio

Quasiment absente des débats en début de campagne, la Constitution new look, cheval de bataille d’Arnaud Montebourg, galoperait maintenant pour une course historique. Récit d’une réapparition mouvementée. 

A la fin de son ouvrage désormais classique sur la Révolution Française, l’historien François Furet remarque « un trait qui va devenir caractéristique de la politique française : ce goût, ou cette fatalité, de la répétition des scènes et des régimes ». La France, jamais à court d’une révolution, aime les fins de règne et les nouveaux départs. A l’image de Raymond Roussel, qui, pour éviter de laver ses chemises, n’en portait que des neuves, notre pays s’offre régulièrement le luxe de changer de Constitution : pas moins de quatorze depuis 1791, soit en moyenne une tous les quinze ans.

Au regard de ce rythme effréné, on comprend que la Ve République, bientôt quinquagénaire, paraisse fort usée pour la plupart de nos compatriotes : selon un sondage récemment publié par la gazette 20 minutes, près de 80% d’entre eux se disent favorables à une réforme des institutions, dont quart appelant même de leur voeux un nouveau régime.

Aussi n’est-il guère surprenant que l’idée d’une 6e République (désormais numérotée en chiffres arabes) ait fait son chemin. Créée en 2001 par le charismatique député PS de Saône-et-Loire Arnaud Montebourg (voir entretien page suivante), la Convention pour la 6e République (C6R) a connu un succès rapide. Il s’agissait, pour ses partisans, de mettre un terme aux dérives monarchistes et à la culture de l’irresponsabilité favorisées par les institutions de la Ve.

En 2005, Montebourg et le juriste Bastien François éditaient leur nouvelle Constitution. Ils y présentent, en 105 articles, l’instauration nécessaire d’un régime primo-ministériel, la fin du « domaine réservé » du Président, la réaffirmation de la séparation des pouvoirs, le renforcement du rôle du Parlement, l’extension de la responsabilité pénale des élus, l’obligation du mandat unique… Les médias avaient largement applaudi cette 6e République prometteuse. Depuis, de nombreux partis politiques, dont l’UDF, le PC et les Verts, en ont très officiellement récupéré le terme.

Pourtant, Arnaud Montebourg est soudain devenu assez silencieux sur son thème de prédilection. Après avoir refusé, au PS, la « synthèse du Mans » (réunification idéologique du parti après le flottement post-Jospin, novembre 2005) et fait figure de héros de la 6ème avec son nouveau courant Rénover Maintenant, nombre de ses supporters ont été déçus de son ralliement à Ségolène Royal lors du rassemblement de Frangy-en-Bresse en août dernier. Premier compromis du « chevalier blanc de la République » ou fin calcul à la hauteur de ses convictions et de ses espérances ? Partons sur les traces de cette République évanescente, fashion victim peut-être historique pour l’hexagone, et allons à la rencontre de ces hommes de la 6e, mi-conspirateurs, mi-désabusés, pour savoir si, oui ou non, la République Française changera bientôt de chiffre.

François Colcombet, le despote éclairé
C’est ainsi qu’il se définit lui-même. Cet ancien député qui en eut assez d’être godillot, septuagénaire épanoui, et maire de Dompierre-sur-Besbre (Allier), fut un des premiers soutiens de Montebourg à l’Assemblée Nationale – notamment au sein de la Commission d’enquête sur les tribunaux de commerce. Il préside aujourd’hui la C6R, association officiellement apolitique, et milite pour la « rupture symbolique ». Selon lui, la révolution institutionnelle vaut moins pour elle-même que comme prélude à une réforme générale des moeurs politiques. La lettre doit précéder l’esprit.

Nous avons assisté à la réunion de rentrée de la C6R. Il s’en est fallu de peu que la presse s’y trouve majoritaire, puisque nous étions deux journalistes pour trois participants. Colcombet tempérait d’un air entendu les emportements de ses deux acolytes, à la recherche d’idées pour relancer un mouvement visiblement essoufflé. « Il faut qu’on se secoue », disait l’un. « On voulait faire une rentrée fracassante en Saône-et-Loire, mais on n’a pas trouvé de salle », confiait l’autre, tandis que le Président avouait : « Nous sommes faibles en nombre. » A la fin du repas, la décision fut prise d’organiser une grande réunion en mars, destinée à « lancer un appel ». Soit à quelques semaines du premier tour.

François Colcombet demeure à l’évidence sceptique sur l’engouement de Ségolène Royal pour la « nouvelle République », parlant au contraire, au sujet de sa candidature, « d’effet Ve ». Mais ce vétéran de la politique, bon vivant, et sans trop d’illusions sur la nature humaine, a d’autres projets en tête : il est en train de créer une association pour les borgnes, au rang desquels, à la suite d’une maladie rare, il a le malheur de se compter.

Michaël Moglia, l’homme blessé
Ce jeune conseiller régional du Pas-de-Calais, ex-travailleur social positionné « à la gauche de la gauche », a démissionné de son poste de Secrétaire général de Rénover Maintenant pour protester contre le « retournement » de Montebourg. Il lui reproche son refus d’être candidat à la candidature PS, puis son ralliement brutal à Ségolène Royal, sans consultation préalable des membres du courant. Dans le sillage de Moglia, dix-sept présidents départementaux de Rénover Maintenant ont rendu leur carte. Ils pensent que Montebourg, jusque-là irréprochable, s’est livré à un premier calcul politique, soutenant la « candidate de l’appareil » dans l’espoir d’obtenir un éventuel portefeuille gouvernemental. Moglia tente à présent de rassembler ces déçus dans une nouvelle branche du PS, dont une première réunion s’est tenue à Lille fin janvier (« la maladie du fractionnisme », dira Montebourg à ce sujet).

Au-delà des conflits politiques, on sent chez Michaël Moglia une déconvenue d’ordre plus personnel. Il semble encore vouer une profonde admiration à Montebourg, avec qui il dit avoir été « très ami » pour ses « dix ans sans faute » au service du changement. Mais les temps ont changé : « On ne se parle plus », conclut-il.

Arnaud Montebourg, un taureau dans l’arène
Au-dessus de son bureau de l’Assemblée Nationale, est suspendue une de ces plaques que l’on trouve sur la porte des étables, et sur laquelle est inscrit le nom d’un bovidé nommé Montebourg. Belle image pour un homme tout d’une pièce, vigoureux au physique comme au moral, courant plutôt qu’il ne marche, hurlant plutôt qu’il ne parle, et n’hésitant pas à nous enguirlander (à raison) pour notre manque d’informations. Le ton est donné d’emblée : la « nouvelle République », la « révolution démocratique » de Ségolène Royal, c’est bien la 6ème, au mot près. « On ne fait pas de la politique avec des slogans ! ». Ainsi, quand d’autres partis récupèrent le nom sans la chose, Arnaud Montebourg entend faire la chose en se passant du nom.

A l’heure où nous mettons sous presse, l’équipe de la candidate prépare un projet d’un référendum censé se tenir dans les « six mois de la victoire », et dans lequel la réforme des institutions n’aura rien à envier au projet constitutionnel de Montebourg et de Bastien François. Donc aucun renoncement, au contraire : la réalisation d’un rêve. « Tout ce pour quoi on s’est battu est en voie d’aboutissement. C’est pour moi un grand moment, que j’espère nous pourrons vivre. » Son regard est convaincu, son phrasé expressif. La 6e, « on est en train de la faire ».

Il semble que, une fois lâché dans l’arène du pouvoir, rien ne pourra empêcher cet ancien avocat, harangueur et batailleur, d’imposer ses idées. Que lit-il, en ces temps agités ? La Malédiction d’Edgar, biographie de John Edgar Hoover par Marc Dugain, révélant la face cachée de l’ancien chef du FBI. Espérons qu’il n’existe nulle malédiction d’Arnaud. Et que la République à venir, qu’elle se nomme 6e ou non, ne soit pas simplement, pour reprendre un titre de l’écrivain Raymond Roussel, une « doublure » de la précédente.

Texte Gaspard Koenig et Richard Gaitet