Anaïs Demoustier : Les ados, c’est génial
En 2009, Anaïs Demoustier, nommée meilleure espoir aux César pour Les Grandes Personnes (d’Anna Novion), confiait son admiration pour Kéchiche et les frères Dardenne (Standard °23). Elle se retrouve à l’affiche de Situation amoureuse : c’est compliqué, premier film de Manu Payet. Moins standard, mais qui donne l’occasion de relire notre discussion avec cette petite surdouée découverte par Michael Haneke au Temps du loup, en 2003.
Nous sommes trois jours après les Césars. Vous avez souvent joué des personnages en quête de reconnaissance. La recherchez-vous ?
Anaïs Demoustier : Mon plus grand plaisir n’est pas d’aller aux Césars, mais de tourner, rencontrer des réalisateurs et des personnages. Maintenant, un César, pour une jeune actrice, c’est un signe d’encouragement.
A-t-on encore besoin d’encouragements quand on tourne depuis l’âge de 14 ans ?
Je suis consciente d’avoir beaucoup de chance, c’est un métier des plus aléatoires qui peut s’arrêter du jour au lendemain. J’ai assez peur de ça, au point de l’avoir toujours en tête. Ma nomination m’a confortée, dans la mesure où, jusque-là, mes films sont restés confidentiels.
Anaïs Demoustier : « Etre nommée aux Césars à 21 ans , c’est un peu une forme d’aboutissement. »
Comment expliquez vous que la majorité de vos personnages soient dans l’action, en réaction face à leur environnement ?
Aucune idée. C’est vrai, j’ai principalement joué dans des drames, alors que je suis d’un naturel gai. Généralement, les adolescentes sont montrées comme superficielles, rebelles pour des choses futiles. Mes héroïnes ont vraiment des choses à défendre. Je m’en rends compte parce que je sors de l’adolescence, ce moment où il faut s’éloigner de tout ce qui nous a construits pour faire ses propres choix. Pour une actrice, les ados, c’est génial. Les rôles d’adultes sont plus carrés, ont un chemin plus tracé.
Il faudra vous y faire…
Oui, mais comme je fais assez jeune, on m’en propose encore ; sous peu, ça ne marchera plus. Dommage, j’aime les films sur des filles qui se posent des questions sur leur place dans le monde, ceux des frères Dardenne [Rosetta, L’Enfant] ou d’Abdellatif Kechiche [L’Esquive, La Graine et le Mulet]. Je ne crois pas que le cinéma puisse changer le monde, mais il peut contribuer à avoir un regard plus franc sur lui.
Cette maturité vous pousse-t-elle vers des films audacieux comme Sois sage ou L’Enfance du Mal [Olivier Coussemacq, sortie non confirmée] ?
C’est une manière de parler autrement de la jeunesse. Ces adolescentes n’ont pas un comportement normal à cause de leur enfance. Leur folie, leurs souffrances, ça m’intéresse. Les premiers journalistes qui ont vu Sois sage le trouvent amoral. Evidemment, ça parle de l’inceste. Mais ça raconte surtout comment trouver la force d’y survivre.
Et Hellphone [James Huth, 2007, teen movie avec un téléphone et Jean-Baptiste Maunier] ?
J’ai très peu tourné des comédies grand public comme celle-là. Le rôle s’apparentait presque plus à du théâtre : je portais une perruque, je pouvais me lâcher. Jubilatoire.
Qu’est-ce que ces rôles vous ont appris sur votre adolescence ?
Si mes personnages sont souvent en plein conflit [voir encadré], je n’ai jamais eu de rapports de force avec mes parents. Ce qui tient à la famille me passionne. J’adorerais jouer une histoire de frère et soeur, d’ailleurs.
Vous avez déjà un beau passif de comédienne. C’est bien, face à la surconsommation de jeunes acteurs du cinéma !
C’était bien pour grandir moi-même. J’ai assimilé pas mal de techniques, je sais pourquoi je choisis un rôle. Ça brasse très vite chez les jeunes acteurs, surtout chez les filles qui, passé le premier coup de projecteur, ont des difficultés pour durer. Je n’ai pas encore été trop exposée, si ça arrive, j’aurai la confiance acquise dans mon expérience. Mais je n’arrive pas à imaginer ma vie d’actrice à 30 ou 40 ans. J’ai revu un extrait du Temps du Loup [Michael Haneke, 2003], c’était marrant de voir les traces qu’a déjà laissées mon métier.
Mais que cherche Eve ?
Cette jeune femme a un comportement étrange. Notamment envers un homme qu’elle vante comme l’amour de sa vie. Elle n’a pas forcément tort : l’homme en question est son père. Avec qui elle a eu une relation incestueuse. Pas un sujet facile à une époque où tout ce qui rapproche sexualité et enfants fait hurler. Quitte à ne pas vouloir voir l’évidence : ce premier long métrage de Juliette Garcias, porté par des intentions irréprochables, raconte comment la victime essaie de retrouver sa place, son identité. En désobéissant à l’idée, normalisée, de caresser dans le sens du poil, Sois sage devient un film aussi gonflé qu’exemplaire.
Filmo d’apprentissage
Etrange ado rebelle, vous l’avez déjà vue quelque part.2003
Le Temps du Loup de Michael Haneke. En conflit avec sa mère déboussolée Isabelle Huppert, elle apprend à survivre à un cataclysme nucléaire.
2006
L’Année suivante d’Isabelle Czajka. En conflit avec sa mère normale Ariane Ascaride, elle apprend à être, littéralement, avalée par la société de consommation.
2007
Le Prix à payer d’Alexandra Leclère. En conflit avec sa mère embourgeoisée Nathalie Baye, elle apprend, consternée, à s’émanciper du pognon.
2008
Les Grandes personnes d’Anna Novion. En conflit avec son père infantile Jean-Pierre Darroussin, elle apprend à être plus adulte que lui.
2009
Sois sage de Juliette Garcias. En conflit avec son père incestueux Bruno Todeschini, elle apprend le goût de la revanche et de la perversité.
&
L’Enfance du Mal d’Olivier Coussemacq. En conflit avec son père adoptif Pascal Greggory, elle apprend les rouages de la Justice.