Mario Christian Meyer : Amazonie, the knowledge class
Mario Christian Meyer nous assure qu’il se pourrait bien que les Índios puissent nous apporter des enseignements sur nos sociétés occidentales et ses rapports de classes et peut-être même des solutions pour une sortie de crise.
Le docteur Mario Christian Meyer, président du Programme International de la Sauvegarde de l’Amazônia, de la Mata Atlântica et des Amérindiens pour le Développement Durable (le P.I.S.A.D), se bat au sein des plus grandes institutions, UNESCO en tête, pour la préservation et le développement des indiens d’Amazonie.
Pourquoi les Indiens d’Amazonie sont-ils en danger ?
Pr. Mario Christian Meyer : Au Brésil, dont la population totale approche les 200 millions d’habitants, les peuples Índios ne représentent que 450 000 habitants sur les terres indigènes accordées par la constitution Brésilienne ; alors qu’ils étaient 6 millions à leur découverte. Leurs 305 ethnies parlent 274 langues différentes et se composent de quelques centaines à quelques milliers de personnes ; certaines se limitent à quelques individus. A titre d’illustration, les Índios géants Kreen-Akarôre ou Panará, du Mato Grosso et du Pará ne sont que 437; au Nord-ouest de l’Amazonie brésilienne, où nous sommes en train d’implanter la plateforme Eco-Ethno-Biotechnologique, l’Herb’Içana©, les Baniwa sont 4.000 ; les plus nombreux sont les 33.000 Tikuna, et, dans la Mata Atlântica, les 35.000 Guarani (Funasa, 2010). Ils sont victimes du déboisement illégal, des cultures intensives et extensives, de l’orpaillage au mercure, trafics illicites de toute sorte… qui détruisent leur habitat, avec les risques écologiques majeurs qui en découlent. Ces descendants d’une civilisation amazonienne, qui fut contemporaine des grandes cultures mésoaméricaine et andine, sont aujourd’hui menacés si nous ne faisons rien ; alors même qu’ils y ont vécu sans aucun risque d’extinction depuis le paléolithique supérieur . Alors même que depuis 12000 ans leurs peuples ont toujours vécu dans ces régions.
Comment s’organise leur société ?
En deux mots, elle s’organise autour de la notion du bien commun, exempte du désir d’accumulation de biens matériels à titre individuel. Elle oriente ses activités vers une recherche, dans les moindres gestes, de l’harmonie avec son environnement naturel et humain. Aujourd’hui, afin de réhabiliter l’image mythique de « bons sauvages » et de définir leur rôle dans le développement durable des sociétés occidentales, il faudrait envisager de considérer les sociétés des Índios sous l’angle de leurs fonctions de véritables « gardiens de la biodiversité », voire « princes de la forêt », dans la mesure où ces fonctions structurent leurs sociétés autour du bénéfice communautaire, dans le respect des lois de la Nature, et non pas de la cupidité associée au modèle du capital qui ronge nos sociétés modernes nous projetant dans cette voie sans issue que nous connaissons actuellement dans la crise financière… Mais, il faudra faire attention à l’émergence d’une religion du marché New Age cherchant à transformer la City en un sanctuaire de civilisation et de compassion.
Ces “Princes de la Forêt” sont peu connus chez nous ; croyez-vous que nous les connaitrons bientôt ?
Je pense que nous verrons bientôt surgir de ces sociétés oubliées des « figures cultes » à l’image des célèbres chefs guerriers Amérindiens du Nord, Geronimo, Sitting Bull, Crazy Horse, Seattle (hélas, devenu le premier « prophète manufacturé » de l’âge médiatique)… pour une lutte contre l’oppression, mais avec d’autres armes, celles du savoir traditionnel…
En ce sens, nous commençons à entrevoir un puissant phénomène de « contre-acculturation ». Vous savez, lorsqu’une culture est menacée de disparition, elle veut dans un dernier sursaut restaurer le mode de vie antérieur au contact des Blancs – en l’occurrence, les européens. C’est le cas de la formation des idéologies de résistance, comme celle de la “négritude”. Cela pose à nos sociétés des questions vraiment importantes, notamment celle de ne pas laisser ces peuples premiers en marge du développement, de reconnaître leur culture, de respecter leurs traditions identitaires… afin de les inclure dans les sphères de la connaissance et de la bioéconomie qui est notre avenir. Cette inclusion est aussi de notre intérêt : aidons-les à nous aider !
Y trouve-t-on les équivalents de notre working class ?
La notion de working class leur est totalement étrangère. Ils ne travaillent pas pour des « patrons », mais pour la communauté. Depuis l’arrivée des Conquistadores, ils ont toujours refusé l’esclavage : ils ont préféré se suicider. C’est une des raisons de l’arrivée de l’esclavage des noirs. La Controverse de Valladolid [débat mené en 1550-1551 pour savoir comment coloniser le Nouveau-Monde] l’illustre bien. L’apparition du développement durable risque de changer la donne…
Pourquoi ?
C’est leur planche de salut. L’Occident a besoin des ressources génétiques de l’Amazonie qui possède la plus grande réserve de la planète. Les Índios sont les meilleurs connaisseurs de cette biodiversité qui sera valorisée par les biotechnologies vertes environmentally friendly. Leurs savoirs millénaires participeront ainsi à la découverte de molécules utiles pour soigner des maladies considérées comme prioritaires : cancers, maladies neurodégénératives, infections (ré)émergentes. Ils sont donc les travailleurs prédestinés de l’exploitation rationnelle de ces ressources ; mais, « travailleurs du savoir » et non ouvriers au sens de « classe ouvrière » : ouvrier au sens d’œuvre. Ils feraient alors partie d’une knowledge-class plutôt que d’une factory-class (comme l’écrivait le Washington Post en février dernier). Le programme d’alliance entre Índios et Scientifiques que nous mettons en place leur permettra ainsi d’intégrer une « nouvelle classe ».
Comment les Índios considèrent-ils cette nouvelle classe de travailleurs du savoir ?
Très positivement ! Ils appellent les leaders d’Amazonie, du Brésil et d’Europe à les rejoindre pour la protection de la vie et de la nature dans leurs forêts. Les dirigeants amérindiens et brésiliens souhaitent prendre appui sur ces connaissances traditionnelles pour contrecarrer les problèmes d’exploitation non durable des ressources génétiques des forêts. Pour vous donner un ordre de grandeur, les aires indigènes protégées, dont les ressources insondées sont remarquables sur le plan de la biodiversité, de la présence de plantes médicinales ou de la beauté des paysages, représentent 1,02 million de km2 de la superficie del’Amazonie légale (qui comprend 9 états : Acre, Amapá, Amazonas, Pará, Rondônia, Roraima, Tocantins, Mato Grosso et une partie du Maranhão). De plus, cette nouvelle classe intégrant les activités de la knowledge-class au sein de notre programme participera à la réplicabilité de la plateforme éco-ethno-biotechnologique à d’autres pays membres des Nations-Unies ayant des caractéristiques similaires à l’Amazonie : riche biodiversité et peuples premiers ayant préservé leurs cultures et pratiques médicinales.
Y a-t-il une upper-class ?
De la même façon que l’aristocratie dans d’autres sociétés, ce que l’on peut considérer chez eux comme l’upper-class a trait à des fonctions souveraines, religieuses, ou encore celle de chefs guerriers depuis la culture précolombienne ; elles se sont maintenues et renouvelées à travers les siècles : les fonctions d’autorité sont exercées par les caciques (souverain ou chef de tribu) qui sont élus par le Conseil Tribal. C’est en quelque sorte l’équivalent d’un ‘conseil de sages’, qui examine et délibère sur les affaires de la communauté, à l’aide de leurs chefs spirituels, les Pajés, qui sont aussi leurs Medicine-men. Ces derniers ont pour rôle de préserver la vie – la santé – et de maintenir les équilibres psychologique et social de leurs tribus dont les modes de vie sont encore basés sur une éthique de partage, de solidarité et de relations coopératives.
Écologie et développement durable semblent constituer deux facteurs de sortie de crise. Les Indiens d’Amazonie peuvent-il prendre part à cette construction de richesse et passer du statut d’exploité à celui de producteur ?
L’urgence de la conservation des forêts primaires d’Amazonie et de la préservation de la biodiversité amène à concevoir autrement la valorisation de ce patrimoine naturel et immatériel de ressources biologiques et culturelles. Le projet Herb’Içana,que nous sommes en train de réaliser, en accord avec les chefs des territoires amazoniens, répond à votre question : la mise en œuvre d’une plateforme d’activités éco-ethno-biotechnologiques auprès de la communauté Baniwa, au Nord-ouest de l’Amazonie brésilienne, générant in situ un modèle d’anti-biopiraterie, permettra de créer des emplois dans les métiers verts d’avenir. Le grand défi étant le transfert de la biotechnologie verte « Plantes à traire », inventée par les professeurs Frédéric Bourgaud et Éric Gontier à l’Institut National Polytechnique de Lorraine, afin de permettre aux Índios de se former aux activités de bioproducteurs. Les extraits végétaux purifiés à 97%, à très haute valeur ajoutée, obtenus des plantes médicinales approvisionneront les industries pharmaceutiques, cosmétiques, nutraceutiques… Il en résultera une économie locale saine et pérenne. In fine, ils participeront à des co-brevets, authentifiant ainsi juridiquement – et une fois pour toutes – leur statut de Knowledge-workers.
La crise économique mondiale est-elle “une chance”, l’Occident ayant montré ses limites, de découvrir d’autres organisations sociétales et d’autres pratiques telles que celles des Índios ?
On peut le dire ! Dans le marasme dans lequel nous a plongé l’effondrement successif des bulles de spéculation financières, il devient vital de trouver de nouvelles issues… La stratégie européenne 2020 incite d’ailleurs les PME, et les groupes industriels à composer avec la concurrence et les marchés des pays émergents. Les progrès scientifiques accomplis dans les biotechnologies vertes, la biologie moléculaire végétale, la bio-ingénierie, etc., présentent un immense potentiel pour la protection de l’environnement, la médecine et l’innovation des industries pharmaceutiques, cosmétiques de pointe. Ces sciences et l’application des biotechnologies impulsent la création de nouveaux emplois liés à la valorisation des ressources naturelles : les métiers verts de demain (une réponse à la crise). Les Peuples premiers Índios ont su extraire, depuis le paléolithique supérieur, les ressources biologiques de la Forêt leur permettant de se nourrir, de se guérir, de développer leurs Arts premiers, leur art de vivre, de se divertir… sans détruire leur environnement… Nous connaissons l’ampleur des dommages infligés à l’équilibre bioclimatique de la Terre par les effets des toxiques libérés par les produits utilisés pour l’agriculture et l’élevage intensifs et les techniques d’exploitation non durable des ressources naturelles (minières, halieutiques, forestières…) durant l’industrialisation occidentale du siècle dernier, d’où la nécessité de développer d’autres voies d’exploitation des richesses de la Nature. En tant que véritables “Docteurs de la Nature”, les Índios, qui se considèrent comme les écologistes légitimes de la Forêt Amazonienne, pourront évidemment nous apporter une mine de connaissances sur des pratiques d’exploitation responsable des ressources naturelles de la forêt, afin de préserver la Vie. Leur expertise éthologique est très précieuse pour la réalisation de l’inventaire du biome amazonien qui est loin d’être achevé. Ils seront à la base de nouveaux emplois verts valorisés par les savoirs et technologies occidentales.
Dans le Dictionnaire encyclopédique Larousse sur les Drogues, vous passez en revue diverses substances amazoniennes, leur utilisation et leurs vertus sur le plan psychologique, sociétal et thérapeutique ; d’après vous, quelles sont les substances qui pourraient avoir d’ors et déjà une application en pharmacologie ? leur « travail » sera t’il rémunéré en conséquence ?
En effet, j’ai donné le nom de certaines plantes connues, mais pour des raisons de protection des savoirs Amérindiens sur les plantes médicinales et des droits de propriété intellectuelle, je me suis engagé auprès des Índios à la confidentialité et à ne rendre public que les caractéristiques et les principes actifs des “plantes les plus prometteuses”, sans dévoiler leurs noms, car d’elles dépend en quelque sorte leur avenir ! C’est pourquoi, nous avons décidé, avec les chefs indiens, d’utiliser des mots de code pour dénommer ces plantes et actifs afin de prévenir le risque potentiel de biopiraterie scientifique ou industrielle. On leur a déjà trop dérobé des actifs biologiques, sans jamais les associer ni à la reconnaissance scientifique ni à l’exploitation industrielle et commerciale : autrefois, leurs savoirs sur les plantes thérapeutiques de la Forêt a déjà permis des découvertes scientifiques et des innovations industrielles majeures: les quinine, émétine, artémisinine, crépitine, d-tubocurarine…de notre pharmacologie moderne soignent et sauvent la vie de milliers de personnes dans le monde ; la pilocarpine et le captopril sont mêmes devenues des blockbusters commercialisés par deux des cinq premiers laboratoires du globe. Dans le contexte historique des siècles derniers, ces partages de connaissances sont des dons qui n’ont certes jamais été dûment reconnus et encore moins récompensés ; le projet des Peuples Índios n’est d’ailleurs pas de demander aujourd’hui le versement de royalties sur les plantes amazoniennes emportées par certains explorateurs tels que Charles Marie de la Condamine, Joseph de Jussieu, Humboldt et Bonpland, ou encore Charles Richet Prix Nobel de Médecine, qui ont permis à la Science occidentale de mettre au point les molécules permettant aux laboratoires pharmaceutiques, cosmétiques, agro-alimentaires de générer des milliards d’euros. Ce scénario serait aussi alambiqué que celui qui nous montrerait l’Abyssinie (Éthiopie), pays d’origine du café, venant demander des royalties sur les bénéfices générés par l’exploitation du café au Brésil qui en est devenu le plus grand exportateur au monde. Devant l’exorbitance des sommes, ce pays serait obligé de demander à la Grande-Bretagne de lui verser des royalties sur la production mondiale de caoutchouc (« le bois qui pleure » des Índios) depuis 1900. À quoi la Grande Bretagne répondrait : mais la Malaisie où fut implanté l’Hevea brasiliensis ne fait partie du Commonwealth que depuis 1957 ! Veuillez vous adresser à la Malaisie ! Alors les Malaisiens répondraient : mais, nous ne sommes pas responsables du vol de l’Hevea brasiliensis aux Índios!
Dans nos sociétés, la toxicomanie est-elle scindée en drogues pour pauvres ou trimeurs et drogues de riches et oisifs ? (Si oui ou non, pourquoi ?)
Mon approche de ce domaine étant plutôt scientifique, je ne connais pas trop la classification ‘sociologique’ des consommateurs occidentaux : la seule chose que je pourrais vous dire c’est que l’Ayahuasca pourrait être considérée comme une “drogue de riche” (en empruntant votre expression), puisqu’elle est consommée par les ‘Princes de la Forêt’ dont nous avons parlé précédemment. Et, par ailleurs, si un Européen devait se la procurer, du fin fond de l’Amazonie, elle pourrait devenir assez chère… Vous avez bien compris, il s’agit-là d’une extrapolation cocasse… (sourire). En revanche, ce psychotrope ne saurait point être classé comme “une drogue d’oisifs”, car contrairement aux idées reçues les Índios sont, dans leur essence, extrêmement actifs, malgré le calme qui caractérise leur comportement… De là, me lancer dans une typologie socio-économique des comportements occidentaux d’addiction (riches versus pauvres), c’est très compliqué… Sur ce plan, il me semblerait plus judicieux d’analyser les conséquences de l’addiction et de la dépendance à la drogue sur les comportements de délinquance sociale, qui seraient quantitativement plus importants sous l’emprise des “drogues des pauvres” en raison de leurs bas prix (en plus du caractère ‘frelaté et synthétique’ de ces dernières), touchant ainsi un plus grand nombre de personnes… Cela fait passer ainsi un problème de santé au sens strict, individuel, à un problème de santé publique… ce qui implique une analyse très spécialisée dans ce domaine… Vous connaissez certainement l’expression humoristique : « Un spécialiste c’est quelqu’un qui sait de plus en plus de choses dans un domaine de plus en plus restreint. A la limite, le vrai spécialiste c’est celui qui sait tout sur rien. »
Le Conseil Fédéral des stupéfiants du Brésil pourtant très conservateur a permis de libérer l’utilisation de l’Ayahuasca dans un cadre rituel, l’Occident peut-il bénéficier de cette substance pour les neurosciences, en psychiatrie ?
Sur un plateau de télévision français, j’ai eu l’occasion de traiter cette question avec Madame Nicole Maestracci, Présidente de la Commission interministérielle de lutte contre la drogue, la toxicomanie et la dépendance (rattachée au Premier ministre – France)… En effet, nous y avions discuté de l’intérêt de créer un programme de recherche visant à remplacer à terme les drogues de substitution actuelles, telles les méthadone, buprénorphine ou d’autres morphiniques de synthèse… (en raison du risque de dépendance à ces produits), par un produit amazonien dérivé de l’Ayahuasca ; ce serait une association de principes actifs (entre autres, l’harmaline, dans les plantes Banisteriopsis et la diméthyltryptamine, dans les Psychotria) utilisée par les Índios, mais aussi par différentes classes sociales, notamment de nombreux anthropologues, médecins, hommes politiques, intellectuels…, ne provocant aucune dépendance. Tout cela, avec l’approbation du puissant Conseil Fédéral des Stupéfiants du Brésil. Leur rituel consiste en une sorte de thérapie de groupe où le psychotrope fait tomber les barrières de la conscience. Cette drogue naturelle agit, chez les non-Amérindiens, comme un véhicule de concentration et de désintoxication permettant, entre autres, à ses adeptes de se libérer de la dépendance aux drogues « occidentales » : cocaïne, amphétamines, marijuana, alcool, tabac…
Anecdote : l’un des premiers alcaloïdes hallucinogènes découverts au début du siècle dernier, au sein de la principale plante fut nommé télépathine [Schultes, R. E. et Hofmann, A., 1992] : elle permet aux Índios de communiquer à distance, comme par télépathie. Bien que cette approche surprenne notre rationalité occidentale (au sens platonicien, à mi-chemin entre la conception ‘socio-anthropologique’ de Cl. Lévi-Strauss et celle de l’‘inconscient collectif’ de C. G. Jung), elle semble pouvoir répondre aux besoins pressants de notre société dans la lutte contre la toxicomanie et la dépendance, avec sa cohorte de trafiques corrélés… et les Índios pourraient bien y assurer la fonction de Knowledge-workers.
En regard de votre travail sur les biotechnologies, pouvez-vous nous donner des applications sur les plantes médicinales des peuples d’Amazonie ?
Le programme d’activités des Scientifiques et des Índios a pour objectif d’allier les savoirs ancestraux Índios concernant les plantes médicinales aux biotechnologies avancées pour le développement d’une pharmacologie moderne au bénéfice de l’Amérique Latine et de l’Occident. Il prend en charge la systématisation des savoirs ancestraux des Medicine–men, notamment dans le domaine des biotechnologies “empirico-naturelles”, car leur connaissance des principes actifs et leurs utilisations des “prodrogues” constituent aujourd’hui l’espoir de la pharmacologie de pointe. Aussi, la recherche cosmétique avancée est concernée par les molécules naturelles à haut pouvoir anti-radicalaire anti-inflammatoire et hydratant ; biocolorants qu’ils extraient de fruits exotiques tel le genipapo, le urucu, le carajiru ou crajiru… ou de feuilles de plantes telles la Psychotria rufescens (+Genipa brasiliensis), qui produit un biocolorant bleu foncé. A titre d’illustration, le leader mondial de la cosmétique emploie des filtres solaires originaires d’Amazonie tels que la Bixina orellana dont les principes actifs entrent dans la composition des crèmes et fards de base. Elle est employée par les Índios pour réaliser leurs peintures corporelles à l’occasion des grandes fêtes rituelles et sacrées. Comme nous l’avons déjà précisé, nous ne pouvons évidemment parler des plantes prometteuses dont les recherches sont en cours : question de confidentialité et de protection (notamment pour les Índios).
Quelles ont été les visées de votre travail avec l’UNESCO, le PISAD – Programme International de Sauvegarde de l’Amazônia et l’Institut National Polytechnique de Lorraine ?
J’ai eu l’occasion de rédiger un ouvrage pour l’UNESCO, préfacé par le Collège de France, nommé Apprentissage de la langue maternelle écrite et de développer divers partenariats, notamment la direction du Programme de Participation « Amerindian Communication and Sustainable Economic Development for a Culture of Peace » (00 BRA 603). La plupart de mes missions en Amazonie furent placées sous l’égide de l’UNESCO, associées à des mandats du Gouvernement brésilien. Avec l’INPL, nous avons mis au point plusieurs projets : pour le prochain transfert de la biotechnologie PAT dans l’Unité « Biotechnologie et Bioproduction » de la Plateforme Herb’Içana© en cours d’implantation dans l’État d’Amazonas, nous travaillons actuellement à la mise au point de protocoles de formation à la bioproduction spécialement adaptés aux Índios avec deux chercheurs, le Pr. M. Durand de l’Université de Genève et M. H. Gagneaux du Conservatoire National des Arts & Métiers. En 2013, nous avons des projets de co-développement de biotechnologies et co-brevets placés sous la responsabilité des Caciques des ethnies et des Medicine–men Índios, d’un Comité Scientifique, d’un Comité Management, d’un Comité d’Observance et d‘Éthique. Il s’agit de consolider la création des activités de bioproducteurs, source de revenus pour les communautés Índios. Lors de l’implantation de l’Herb’Içana, pour aider les Índios au démarrage, aucun reversement de royalties ne leur sera demandé pour ce transfert, jusqu’à ce que la répartition auprès de chaque membre de la communauté Índios bénéficiaire du Transfert soit équivalente à au moins €350. Cela fait une différence pour ces communautés qui sont parmi les plus démunies du monde, du point de vue financier. Si nous nous basons sur les barèmes actuels de la banque mondiale, ils seraient dans la catégorie de l’“extrême pauvreté”, car leur revenu pourrait équivaloir au seuil de 1,25 USD par jour (66,9% des Índios de l’Amazonie brésilienne n’ont aucun revenu, IBGE 2010).
Afin d’étendre votre rayon d’action avez-vous été tenté par la politique ?
Si vous me parlez de la politique politicienne, certainement pas ! Durant les années 80 et 90, j’ai eu l’occasion d’assurer quelques fonctions en tant qu’Adjoint au Gouverneur d’État pour les Affaires Scientifiques et Internationales (Amazonas), ou en tant que Conseiller de Ministres d’État (District Fédéral) et de Secrétaires d’État (São Paulo) pour les Affaires Scientifiques et Technologiques… Par ailleurs, à cette même période mon nom a circulé pour la fonction de Ministre de l’Environnement, invitation que j’ai déclinée en raison de mon engagement pour une cause qui ne doit pas être tributaire d’une mouvance politique partisane… Au sens noble du terme politique, l’activité du PISAD que je préside constitue une action civile, une prise de position dans l’arène du Politique, dans le sens où elle représente un instrument de changement destiné à préserver l’environnement, la diversité culturelle, la biodiversité par leur association aux sciences occidentales… et, in fine, l’avenir des futures générations.
Face à leur savoir millénaire, pensez-vous que le pire ennemi des populations indiennes est la course au profit des sociétés ultralibérales ?
Certainement, car les Índios (non acculturés) ne sont pas du tout familiers avec la notion de “profit” au sens de la logique financière qui caractérise les sociétés ultralibérales. Ce concept est totalement absent de leur système de valeur, de leur style cognitif, de leur conception de l’organisation sociale, de leur weltanschauung…
Quels organismes défendent et développent les enseignements de ces Indiens?
De très nombreuses organisations gouvernementales et ONGs dont la coopération est plus ou moins active en fonction des projets: l’Institut du développement durable de l’État d’Amazonas (IDAM) où Malvino Salvador, Directeur en charge de l’Assistance Technique et de l’Extension des Forêts, est notre partenaire privilégié depuis plus de vingt ans, aussi à l’aise avec les Gouverneurs d’État qu’avec les Índios ; le Secrétariat d’État aux Peuples Indigènes (SEIND); la Fondation Nationale des Affaires Indiennes (FUNAI); la Fondation des Organisations Indigènes du Rio Negro (FOIRN); le Conseil Général des Tribus Sateré–Mawé (CGTSM); l’Institut National de Recherches sur l’Amazonie (INPA)… Ce sont les plus représentatives et incontournables dans notre démarche. Leur contribution reste aujourd’hui confidentielle – insuffisance de moyens – pour traiter à elles seules l’alliance des savoirs Índios aux biotechnologies modernes, voie la plus pragmatique pour l’autonomie et l’avenir des Índios…
Qu’en est-il des droits des Índios ? Quels appuis ?
Le respect de leurs droits reste encore tributaire de l’approbation du « Statut de l’Índio », qui depuis vingt ans transite entre Chambre des Députés et Sénat. Nous bénéficions du support des Gouverneurs d’État et d’autorités nationales et internationales, telles le Ministre L. C. Borges da Silveira, aujourd’hui en charge des Sciences et Technologies (Tocantins, Amazonie). En Europe, nous menons des négociations avec le Député Européen A. Lulling, président de plusieurs Commissions du Parlement Européen, M. Heintz…
Au Brésil, le célèbre chanteur Gilberto Gil, deux fois Ministre de la Culture, très impliqué dans la cause des noirs et du métissage des cultures, en plus du parti vert, appuie notre projet. Depuis des années, nous traitons avec lui d’une manifestation culturelle inédite et internationale, où la création artistique Occidentale et les Arts premiers Índios seront à l’honneur grâce au soutien d’intellectuels et artistes de premier ordre: « De la Haute-Couture à la Haute-Nature », Hommage à la Nature et aux Cultures Ancestrales, organisée pour
sensibiliser le monde entier sur l’importance de la sauvegarde des Índios et de la valorisation de l’Amazonie afin de favoriser le développement de nos actions sur le terrain.
Quel est votre objectif final ?
Mettre en place, avec les Índios, un modèle de gestion de l’innovation basé sur la protection des droits intellectuels, la brevetabilité et le partage équitable des bénéfices permettant de déployer des moyens de recherche & développement pour la conservation et la valorisation équitable de la biodiversité et des savoirs traditionnels de ces Peuples premiers via les biotechnologies. Ceci pour assurer, in fine, un développement durable grâce à une bioéconomie capable de générer une place digne aux générations futures dans une société plus juste et harmonieuse.
Par Jean-Emmanuel Deluxe