Typiquement le genre d’écrivain appelé à devenir un peu culte, Alfred Hayes (Londres, 1911 – Los Angeles, 1985). Comme Richard Yates, James Salter ou Glenway Wescott (Le Faucon pèlerin) : Yates, posthume, Salter, sur le tard, Wescott, bientôt. C’est comme ça : il faut s’habituer à la vie, même littéraire. Il a d’ailleurs avec Salter et Yates une parenté évidente : la mélancolie. Mais à l’encontre de Salter, qui sait être éloquent et ne ménage pas ses effets, Hayes est tout laconisme, neutralité, écriture blanche subséquente. Il ne s’agit surtout pas de rendre le réel attirant ou touchant. A fortiori lorsqu’il s’agit du récit très visuel d’une tragédie banale, d’une rencontre entre Elle et Lui, tandis qu’Elle, au cours d’une soirée à Hollywood en 1950, tente d’en finir dans les vagues, et que Lui, la secourt. Cela pourrait être, ainsi, le début d’une jolie histoire d’amour. Ce sera le début mais l’histoire, finalement, ne sera pas jolie. Et elle ne sera pas d’amour. C’est une série B parfaitement aboutie, avec quelques verres de whisky et de gin, des cigarettes écrasées, un voyage au Mexique, une corrida sanglante, une starlette ravissante, paranoïaque, capricieuse, mythomane et désespérée, qui vit avec son chat et tente de distraire sa solitude. Le ressort est bandé dès les premières pages : la tragédie se déroule avec le professionnalisme (ou fatum) qu’on lui connaît, grâce à un grand artisan quand même : Alfred Hayes, donc. Un modèle du genre. Son premier livre traduit, In love, fut préfacé par Michel Mohrt (Stock, 1955, rééd. 2011). L’héroïne du deuxième, Une jolie fille comme ça, évoque parfois la Creezy de Félicien Marceau (Prix Goncourt 1969, Gallimard) : même extravagance, même charme en dépit du ratage programmé, mêmes éclats de cristal dans le champagne. C’est l’ambiance. On aurait aussi bien pu parler d’Auteuil de Jean Freustié (1954, Gallimard), ou de n’importe quelle héroïne ou presque de Fitzgerald. Bref, tout cela terriblement américain et européen – comme le cinéma de ces années-là à Hollywood. D’ailleurs, Hayes y a travaillé, comme scénariste, avec Zinnemann, Lang, Dmitryk, Huston, entre autres – aussi bien qu’en Italie, avec Rossellini sur Païsa (1946) ou De Sica sur Le Voleur de Bicyclette (1948). Peut-être fallait-il en passer par quelques tunnels du Nouveau Roman pour redécouvrir, cinquante ans après, le charme térébrant d’un moins nouveau – de 1958. C’est tard pour l’actualité. C’est parfait pour l’éternité. Entre ici, Alfred Hayes…

Par François Kasbi

Une jolie fille comme ça
Préface et traduction de l’anglais (Etats-Unis) par Agnès Desarthe
Ed. Gallimard, 168p. , 17 €