Albert Hammond Jr. : « je fais du Yoga et des puzzles »
At home, Lower East Side, New York
Samedi 28 juin 2008
Début 2009, les Strokes redonneront de leurs nouvelles après différents projets individuels, dont celui d’un guitariste bouclé devenu songwriter futé. Albert Hammond Jr., 28 ans, en tournée pour son deuxième album Como te llama, reçoit chez lui. Réponses à la Spinal Tap.
Rencontré à New York, en studio lors de l’enregistrement de Yours to Keep en 2006, Albert ne se prenait déjà pas au sérieux. L’impression se confirme deux ans, deux albums et une petite amie célèbre (le top british Agyness Deyn) plus tard. A l’issue d’une après-midi, dans son appartement du toujours underground Lower East Side, à quelques blocs du New Museum, précédé de ses deux chiennes Violet et Lola, Albert nous ouvre les portes… en tenue de yoga.
Vous étiez en pleine séance de gym ?
Albert Hammond Jr. : De yoga. C’est mon truc. Je n’ai pas trouvé mieux. Sauf peut-être les puzzles. Ce sont deux choses qui me tiennent vraiment à cœur et dont les structures sont assez semblables. Je trouverais ça bien que le yoga remplace le sport au lycée. Ça permet de se relaxer, de laisser derrière soi le stress, et surtout, ça donne une force incroyable. Je suis sûr que notre société serait bien plus calme. Sans parler de notre santé. Notre corps est la seule chose que l’on puisse contrôler et utiliser à son avantage. Le yoga est comme une danse, aussi. La première fois, les mouvements sont plutôt rigides, sans harmonie ; avec le temps, tout devient fluidité. Les séances d’étirements sont particulièrement intenses, il faut se concentrer sur sa respiration, on est hypnotisé. Je veux pouvoir apprendre ça à mes enfants. Je m’en étais toujours moqué et le jour où j’ai essayé, ça a été une révélation ! Ce jour-là, j’ai décidé de ne plus rien juger avant d’avoir vraiment compris le sens des choses. Le yoga élève l’esprit, exactement comme la musique.
Si vous n’étiez pas musicien, vous seriez yogi pro ?
Non, pilote de ligne. Comme tous les petits garçons, j’ai toujours rêvé de voler.J’aime aussi cuisiner, j’aimerais réaliser un film, écrire une bande originale. La production me fait assez envie. A 13 ou 14 ans, j’ai eu un véritable coup de foudre pour Buddy Holly et Roy Orbison. Au début, il était surtout question d’écrire des chansons pour guitare et basse, les instruments joués par mes idoles. Tout tourne autour des idoles dans un premier temps, on essaie de les imiter, de s’habiller et d’agir en fonction d’elles, et avec un peu de chance, on rencontre d’autres personnes comme soi.
C’est à 13 ans [dans un internat suisse] que vous rencontrez Julian [Casablancas, leader des Strokes] ?
Oui. Au tout début, on ne parlait jamais musique, peut-être parce qu’il était plus âgé que moi [de deux ans]. Je l’ai revu par hasard à New York, cinq ans plus tard [en 1998]. Il se demandait ce que je faisais là. J’ai répondu que je prenais une année sabbatique avant d’entrer en fac de ciné, que je passais beaucoup de temps à écrire des chansons et à jouer de la guitare… Là, on a réellement parlé musique, du groupe qu’il venait de monter et du second guitariste dont ils avaient besoin. On s’est mis à composer et à répéter. Et ça a plutôt bien marché pour nous.
Je me souviens du premier concert parisien des Strokes en 2001 : je me demandais si vous étiez intimidés, impatients ou inquiets.
La scène, c’était tout ce qu’on attendait, nous étions très excités, un peu nerveux. Heureux de jouer notre musique, qu’elle nous fasse voyager. C’était fabuleux. Il y avait du bois partout non, dans la salle ce soir-là ? C’est ce détail qui m’a marqué avec Paris. Le bois. A force de vivre tous ces rêves, de les voir se réaliser les uns après les autres, on n’y prête plus vraiment attention.
Que préférez-vous : la scène, l’écriture, la recherche ?
Difficile de choisir. L’apogée est de réussir à trouver les mots et les notes qui vont avec la première idée et de pouvoir partager ça – l’instant très précis où tu aperçois les dix premières secondes d’un nouveau morceau, rien ne les vaut, rien. Les chansons de Buddy Holly comme That’ll be the day ou Rave On, c’est en ça qu’elles m’ont permis d’accéder au rock’n’roll, en représentant parfaitement la création.
Albert Hammond Jr. : « Petit, je me sentais proche de Woody Allen et James Bond. »
Lisiez-vous en cachette des magazines sexys ?
Pas en secret. Playboy ne se lit pas en douce, bien qu’il y ait des filles nues. A 15-16 ans, on est suffisamment âgé pour faire la part des choses – toutes les filles ne sont pas des playmates. Je passe toujours pour un mec bizarre quand je dis ça, mais les pages art de Playboy sont vraiment intelligentes, et les grands entretiens sont parmi les meilleurs – celui avec Robert Downey Jr. m’a vraiment marqué. En retirant les femmes nues, ça reste un bon magazine, c’est rare ! Les magazines musicaux en revanche ont beaucoup changé. Pourquoi ne pas mettre en couverture un grand acteur et la semaine suivante, un musicien inconnu, dont la musique est vraiment bonne ? Pareil pour MTV. Une fois que fortune est faite, pourquoi ne pas réserver une partie des bénéfices pour autre chose ? A la longue, les gens se fatigueront de ce système.
Etes-vous habité par une quelconque terreur ?
Des centaines, oui ! Le défi de la nature humaine est justement de réaliser ses rêves malgré la peur. Un cauchemar en particulier me terrifie : je suis seul, en pleine mer, de nuit, après un crash d’avion. J’aime et je respecte la mer, mais me réveiller dans l’eau, sans rien à l’horizon… c’est terrible ! Une mort lente, à retardement… Sinistre, non ?
Effectivement ! Lutter pour survivre, donc. Quelle serait votre idée de la
révolution ?
Il serait bon que la jeunesse soit unie, solidaire. Ce n’est pas si difficile ! Et qu’est ce qui pourrait unir un groupe de jeunes mieux que l’art, quelqu’en soit sa forme ! On peut toujours trouver, même dans une forme ultra simplifiée, des liens partagés par tous. Ma révolution rechercherait ces liens, tenterait de les identifier, de mettre des mots dessus.
Vous pensez à tout ça quand vous composez un morceau ?
Non, je pense à la musique. La plupart du temps, je joue jusqu’à obtenir un riff, une mélodie, sur laquelle je pose une phrase. Parfois, il me faut une semaine entière pour trouver cette mélodie.
Vous êtes un guitariste autodidacte ?
Non, j’ai pris des cours en arrivant à New York. Sur le premier album des Strokes [Is This It, 2001] notre prof, surnommé « le Gourou », m’a beaucoup appris. C’était plus un mentor qu’un simple prof. On se posait chez lui pendant plusieurs heures, à parler d’histoire de la musique, à jouer en buvant des bières et en parlant de la vie, des femmes et de cuisine. Un très bon prof de guitare.
Je vois que vous avez un piano…
Oui, mais je ne me considère pas pianiste pour autant. J’essaie, je transpose. Je fais aussi un peu de basse et de batterie, les cordes et les vents me plaisent vraiment. J’aime aussi les sons produits au contact d’objets étranges et les mixer avec leurs doubles électroniques.
C’est à dire ?
Par exemple, j’ai un vieux vinyle rayé qui, à la fin du dernier morceau, reste sur un scratch. Je l’ai placé dans Scared, sur notre premier album. C’est de ce son unique, qui me rappelait un peu une batterie électrique, que je suis parti pour l’écrire. L’amusant ensuite, c’est d’ajouter une vraie batterie. On ne peut pas identifier le son d’origine, je trouve ça vraiment stimulant.
Déjà stimulé pour de nouvelles chansons ?
Oui, je travaille depuis un moment sur un troisième album. Trois ou quatre chansons sont sorties et ce sont mes meilleures. Etrangement, elles sont plus naturelles et me ressemblent plus que toutes les précédentes. Peut-être est-ce dû au temps passé à s’exercer, à essayer, à recommencer. Les mélodies me viennent plus facilement. À force de me pousser dans différentes directions, d’essayer, de recommencer, je crois que les mélodies me viennent plus facilement. Je les sens différentes, et ça me plaît.
Entretien & photographie Adèle Jancovici – Standard n° 21 – octobre 2008