Africa, obéir à tes voix
Le Congolais Dieudonné Niangouna, premier artiste-associé africain du Festival d’Avignon, présente le ballet Au-delà au Mac de Créteil, tandis que les tableaux vivants du Sud-Africain Brett Bailey, Exhibit B, sont repris au 104. Levé de rideau noir sur des spectacles qu’il faut voir.
Il faut beaucoup aimer les hommes titre Marie Darrieussecq. Le héro de son dernier roman, brillant acteur de seconds rôles hollywoodien, est d’origines camerounaise. La Tate Modern acquiert Le Musée d’Art africain contemporain (1997-2002) du plasticien béninoin Meshac Gaba. Cette installation de douze pièces, nomade et interactive, comble la sous-représentation de l’art de ce continent dans les musées occidentaux. La peau noire auraient-elle dépassé le hipster sur l’échelle de la coolitude ? Pas seulement. Le théâtre, en cette rentrée, est marqué par d’emballantes mise en scènes venues d’Afrique, à découvrir parfois les tripes bien accrochées. Lancée par l’Institut français en mai dernier, la saison Sud-Africaine en France se terminera en décembre et pas moins de cent-vingt artistes de ce pays sont programmés au Festival d’Automne. Parmi les concerts et spectacles, le performer Steven Cohen exprime sa différence, « Juif, blanc et pédé » dans un pays peuplé majoritairement de chrétiens noirs, avec Coq/cock, qui a été présenté en septembre dans l’expo My Joburg à la Maison Rouge. Le 10 septembre, alors qu’il filmait cette performance au Trocadéro, le Johannesbourgeois a été arrêté pour attentat à la pudeur sur l’esplanade des Droits-de-l’Homme. Il déambulait en talons de 20 centimètres et corset, tenant en laisse un coq par son sexe. Une façon de cultiver son statut de victime auto désignée depuis plus de trente ans.
Pour leur dixième et dernier festival d’Avignon en tant que co-directeurs, Vincent Baudriller et Hortense Archambault, ont nommé à leurs côtés Dieudonné Niangouna (en binôme avec le parisien Stalislas Nordey d’origine polonaise par son père et… congolaise par sa mère). Auteur, comédien et metteur en scène, Niangouna, né à Brazzaville, défend un théâtre de l’urgence, nourri de la réalité du Congo, marquée par des années de conflits intérieurs. Si l’on ne reverra pas Sheda, vaste fresque en colère créée pour le festival, on pourra goûter sa verve rageuse dans Au-delà, ballet pour six danseurs au Mac de Créteil. La liste des créations liées à cette région du monde n’a jamais été aussi ample et pointue au Festival d’Avignon et de nombreux artistes, notamment Allemands, invitent à de singuliers pas de deux Nord-Sud. Les Berlinois de la troupe Rimini Protokoll proposent Lagos Business Angels, un parcours immersif sur la folle croissance économique du Nigéria, tandis que les chorégraphes Monika Gintersdorfer (Hambourg) et Knut Klassen (Berlin) mettent sur un piédestal le roi ivoirien du coupé-décalé, Gadoukou la Star, dans trois spectacles (Logobi 05, La Fin du Western et La Jet set). Jeter des ponts entre notre vieille Europe et la terre africaine en pleine mutation répond au besoin d’un retour à la création comme fonction cathartique, qui viendrait panser les blessures à l’âme et éponger le sang versé.
Noirs désirs
Avec Exhibit B, le Brett Bailey revient sur la féroce exploitation du Congo par les impérialismes français et belges. Ces pans occultés, dont les constructions idéologiques perdurent, sont illustrés par une succession de tableaux vivants évoquant les zoos humains des exploitations ethnographiques coloniales. « L’Afrique est si souvent considérée comme un “cas désespéré”, le “continent sans espoir”, l’accent étant mis sur son état de ruine en oubliant que, durant les cinq cent dernières années, elle a été pillée et colonisée, ses sociétés, structures sociales et cultures ont été démantelées », expliquait Brett Bailey à Avignon. Le spectacle avait lieu dans une église abandonnée, lui donnant une aura mystique, mais son impact ne devrait pas faiblir dans les écuries du 104, ancien service municipal des pompes funèbres de Paris, où il est repris en novembre. L’entrée se fait toutes les trente minutes, par groupe de quinze. On nous fait asseoir sur des bancs numérotés dans une petite pièce d’où rien n’est visible. Le silence est demandé, puis on tire les numéros dans le désordre. Toutes les quatre minutes, les spectateurs sont appelés un par un pour entrer dans l’espace de spectacle, seul. On bouillonne d’impatience. Enfin c’est notre tour. Premier tableau vivant : Sarah, debout et nue, exhibant ses courbes généreuses dans une structure qui tourne sur elle-même, comme une danseuse dans une boîte à musique. Sauf que. Sous les traits de la Vénus Hottentote, la comédienne chope notre regard, nous renvoie au rang de voyeur-pilleur et fait monter en nous une culpabilité poisseuse. Le choc est frontal.
Les autres tableaux surgissent et à chaque fois la sensation d’inconfort noue la gorge. Pour fuir le regard des comédiens, vous lirez les panneaux signalétiques. Mais ils rappellent les atrocités commises, pendant que s’élèvent des chants d’esclaves de Namibie. Alors vous vous perdez dans leur regard et si vous le défiez assez longtemps, vous transformez cette rencontre en compassion, en pardon, en amour. Quelques personnes pleurent. La guérison est en marche et c’est vous l’acteur de cette reconstruction. Les performeurs sont des habitants du quartier issus de l’immigration. Sentir leur propre histoire mêlée… l’expérience est saisissante. À la sortie, les témoignages du public sont affichés. On peut lire celui d’un des comédiens amateurs : « Je me considère comme un médicament, car je pense que les gens sont malades et que le racisme est une maladie. Avec Exhibit B nous pouvons les guérir. » Adama Cissoko, musicien.
Par Marion Boucard
Dieudonné Niangouna et DeLaVallet Bidiefono
Au-delà
Mac de Créteil
Du 14 au 18 janvier
Un regard de cinéma sur l’Afrique du Sud
Jeu de Paume, Paris 1er
Du 5 novembre au 26 janvier