C’est une hydre : les Nouvelles Messageries de la Presse Parisienne (NMPP) tenaient mardi matin leur assemblée générale. En chapeau, k-way, baskets argentées et chemise à carreaux, parmi les cheveux sels et les lorgnons, nous y étions. Chaque trimestre, pour une fortune et avec une contrition non feinte, ces médiatiques mercures transbahutent notre revue sur des centaines de kilomètres, des rotatives aux kiosques, pour finir parfois, joyeusement placée, entre le magazine des Secrets du IIIe Reich et la gazette de l’Habitat (en) île de Ré. Il était de notre devoir d’aller voter pour ou contre, à main levée, les dernières décisions du groupe, et représenter notre enseigne, fiers comme des coqs de Bruyère.
C’est notre première fois, on se met devant. Il y a du café, des jus et des pâtisseries fines ; pâtisseries auxquelles quasiment personne ne goûte (normal, nous venons tous, à la hâte, de petit-déjeuner, c’est malin, vous auriez pu prévenir). Assis sur le velours gris, nous sommes vite rejoints par un individu aux joues rouges, yeux vifs, lunettes, se désignant d’une poigne pleine d’entrain : « Bonjour ! Jean-Claude P., Les Echos : Enjeux – Les Echos ! ». Jean-Claude apparaîtra, dans les décisions, comme l’homme avec lequel il faut compter, dans ces réunions. Celui qui commente, qui donne le la quand le conseil hésite. Notre allié.
Cinq résolutions sont à débattre aujourd’hui. Dans ce sous-sol, sous la cantine, la moyenne d’âge et d’allure des éditeurs présents navigue entre ceux et celles de Claude Bartolone et de Jean-Luc Mélenchon (des quinquas costumes). Dans trente minutes, le représentant de Courrier Cadres, aux épaisses bacchantes blanches, déclarera que « le diable se cache dans les détails. » Suivant sa formule, on additionne treize cravates, sept chauves, quatre femmes, trois jeunes, un tee-shirt et un roux collier de barbe. Puis la présidente prend la parole. La voix de Jacqueline (représentant le Nouvel Observateur) a quelque chose d’Amanda Lear plongée dans le corps de Claude Sarraute (rajeunie de vingt ans). Charismatique, Jacqueline se mélange souvent dans les prénoms de ses collaborateurs, mais tout le monde l’adore, malgré que son discours n’ait débuté par une faute de français.
« Nous traversons une période difficile. » Jacqueline est catégorique : en 2006, les ventes ont baissé de 3,8 % toutes références confondues. Pour expliquer cela, son voisin, que nous appellerons Rémi, évoque un effet « malthusien », c’est-à-dire : suggérant la restriction, ou la crainte face au développement, en référence aux propositions démographiques du pasteur anglican et économiste britannique Thomas Robert Malthus (1766 – 1834). Rémi, résolu à se remonter les manches, affirme « qu’on ne doit pas laisser notre métier [la presse payante] disparaître ». Son micro crée de légers larsens, mais Jacqueline annonce « un plan de reconquête des ventes » dont elle est « intimement convaincue ». Ce plan a un coût : 30 millions d’euros. Ses effets ne seront pas palpables « avant 2010 ». Et il sera financé en partie par nous (la taxe éditeur passera de 0,45 % à 1,23 % ), par la révision des 17 millions d’euros que le groupe Hachette reçoit annuellement en tant que « propriétaire » à 49 % de la coopérative et, si les promesses du nouveau locataire de l’Elysée, que Jacqueline appelle par dérision par son prénom, sont tenues, par les aides gouvernementales. La maison s’engage également à envoyer environ 200 prévieux en préretraite d’ici la fin de l’année.
« Quand on rentre dans une librairie, un kiosque, c’est simple : on n’a pas envie d’acheter. » C’est, depuis des années, la triste litanie de la presse écrite, rapportée, comme la synthèse de tous les avis consommateurs accumulés jusqu’à présent, par Rémi. Contre cela, et parce qu’il aime sentir le toucher du papier glacé sous ses doigts roses, Rémi a prévu de se battre. Prochaine opération : l’essai sur une ville « facile » (Reims) de nouvelles méthodes de placement. Si les résultats, prévus pour décembre, sont concluants, on tentera l’expérience à Sèvres, Saint-Tropez, Courchevel. L’espoir renaît – on découvre que Batailles aériennes, 1800ème des ventes parmi les 4500 titres français, écoule 4 000 exemplaires tous les trois mois.
Toutes les résolutions sont adoptées presque à l’unanimité. Nous remettons alors k-way et chapeau, et remontons à la surface. Dans le grand kiosque du bâtiment des NMPP, celui-là même qui devrait montrer l’exemple : effectivement, la mise en place pratique pour une recherche rapide et l’incitation à la vente n’est pas encore très au point. Magic art « spécial aquarelle » accompagné de fascicules de travaux pratiques sont placés devant notre petite famille de presse Technikart et Clark. Une place qui reviendrait logiquement à Standard installé, lui, tout en haut à côté d’un obscur livret sous blister (Fumigènes) et d’un grand machin intitulé Faux Q.
Dans le grand kiosque du bâtiment des NMPP, là où les journaux ne semblent intéresser, malheureusement, plus beaucoup de Rémi, plus tellement de Jean-Claude.