Parrain coquin de la blaxpoitation, Melvin Van Peebles, 76 ans, était l’invité d’honneur du festival Black Revolution de Saint-Denis. Sans lui, pas d’Obama ? Dialogue en forme de rétrospective, pour tous les brothers & sisters.

Melvin Van Peebles Photographie Blaise Arnold

Melvin Van Peebles © Blaise Arnold

Pigalle. Le soleil est haut, Melvin est sorti hier et s’est pris une bonne cuite. Il reçoit dans son petit appartement d’étudiant qu’il possède depuis dix ans, quand il ne dort pas à New York ou Los Angeles. Sur son t-shirt, un portrait de lui sur les gogues « moi au travail », rit-il. Ses yeux sont d’un bleu insoupçonné, ses mains fines et son français, comme ses vannes, mortel. Sans cet homme, à la fois romancier, journaliste, scénariste, metteur en scène, acteur, chanteur, compositeur, producteur, trader et champion de footing, pas de Spike Lee, de Shaft, de Foxy Brown et de Jackie Brown – et pas de Barack O. ?

Dans Sweetback Sweetbacks Badaasssss Song [1971], le héros que vous incarnez sauve un leader politique noir, désigné par cette réplique : « Cet homme est notre futur. » Le soir de l’élection du premier président afro-américain où étiez-vous ?
Melvin Van Peebles : Dans une fête, un endroit assez gratiné en face de Central Park. J’ai cru qu’on avait trafiqué la télé pour blaguer : ils disaient que le Noir était en train de gagner, faut pas pousser ! Avais-je trop bu ? Je n’y croyais pas, jusqu’à ce que je prenne un taxi et que le chauffeur refuse mon fric ! « Non, non, non, on a gagné, la course est offerte ! »
Comment l’Amérique a-t-elle réussi à changer ?
Ma politique est la suivante : moi, je cause pas profondément des choses auxquelles je comprends que dalle. Ces présidentielles n’étaient pas très différentes des précédentes, sauf peut-être concernant l’utilisation d’Internet et le fait qu’une partie des fonds nécessaires provenait des quidams.
Si vous rencontriez Barack Obama, que lui diriez-vous ?
Bravo.
Que vous inspire les premières semaines de sa présidence ?
J’étais content, quoi ! Je te dis juste que j’aimais ses façons mais que je ne croyais pas à sa victoire et que par conséquent, je continuais à lutter. Dès que tu as un peu de « bling », de notoriété, on te demande de parler sur des points que tu ne connais pas exactement : une radio m’a par exemple invité pour inciter les gens à aller voter, bla-bla-bla. C’est à la fois intéressant et dangereux.
Son expression « j’ai foiré » est-elle la meilleure de ce début d’année ?
Je t’ai déjà dit deux fois que c’est pas mon rayon ! T’essaies de me balader, là ? Hé, dis, va te faire foutre ! Alors !
Pardon. Votre premier long-métrage, La Permission [1968], le flirt d’un G.I. noir et d’une Française blanche a été filmé entre Paris et la Normandie, car impossible à tourner aux Etats-Unis.
C’est une histoire méconnue mais vraie : en 1967, je mange aux Champs-Elysées et j’aperçois l’une de mes idoles, Gordon Parks [photographe et futur réalisateur de Shaft, 1971]. Je l’aborde, il m’offre un café, on cause, j’écoute ses histoires. Je confesse que je veux être réalisateur de cinéma, on se retrouve en face dans une salle de projection où je lui montre La Permission et il me lance : « T’inquiètes, coco, je vais t’ouvrir les portes. » Je n’oublierai jamais ça. Quelque part, la France m’a très bien utilisé pour embarrasser les Américains, mais c’était aussi dans mon intérêt d’être là, comme un idiot. Ce film est très gentil, très flatteur pour la France. Je savais bien ce que je faisais, faut pas se raconter de bobards.
Quels bobards ?
Il y a comme un sous-texte dans ta question : est-ce que la France était moins raciste que les Etats-Unis ? Mais t’es pas con à ce point-là, si ? Naïf ? T’es trop gentil là ! [Il se marre.] La France est même peut-être moins tolérante que l’Amérique. Ce n’était pas la vérité, mais celle que je voulais montrer au monde ! Bah alors ! Tu crois que je fume autre chose que du tabac ? Si j’avais voulu réaliser La Bataille d’Alger [Gillo Pontecorvo, 1966], cause toujours pour obtenir le budget ! Là, j’avais la possibilité de filmer la France telle qu’on aime la voir, bon, j’avais l’argent, je filme.
Votre film suivant, l’exceptionnel Watermelon Man [l’histoire d’un courtier blanc raciste qui se réveille noir, 1970], vous a valu quelques prises de becs avec Hollywood.
Voilà le topo : quand j’arrive au festival du film de San Francisco avec La Permission, les Américains sont vraiment très embêtés que le seul réalisateur US important présent soit un Noir vivant en France. Je suis le chouchou, on me presse de tourner aux Etats-Unis alors que la dernière fois, on m’envoyait me faire foutre ! J’ai refusé. Je suis né dans la nuit, mais pas de la dernière pluie.
Pourquoi ?
Si j’avais accepté, ils auraient pu dire « Tu vois, nous n’étions pas racistes. » Mais, au lieu d’un seul réalisateur afro-américain, ils en trouvent deux ! Gordon Parks réalise Les Sentiers de la violence [1969] et Ossie Davis Cotton comes to Harlem [1970]. Alors bon, j’accepte à condition de tourner à Hollywood, bourrée de syndicats blancs – ça ne me fait pas peur, tu sais. On me propose le scénario de Watermelon Man un vendredi, avec Jack Lemmon ou Alan Arkin. Je rappelle lundi en remarquant qu’il doit y avoir une erreur : tout le casting est blanc alors que le héros l’est seulement les trois premières minutes ! Je suggère : « Pourquoi pas un Noir qui jouerait un Blanc ? » Ils n’y avaient même pas pensé ! Ils ne se rendaient pas compte du racisme du projet ! Le roi peut jouer le valet mais le valet ne peut pas jouer le roi. Je ne voulais pas toucher à ces sentiments cachés, subconscients, donc je dégotte moi-même l’acteur Godfrey Cambridge, qui a l’avantage de ne pas être dangereux sexuellement, comme Sidney Poitier ou Harry Belafonte, mais comique, ah, ah ! Ça restait – en apparence – une grosse comédie avec un Noir rigolo, ah, ah !
Vous avez modifié la fin, aussi ?
Dans le script c’était marqué : « Le héros va faire caca et il est de nouveau blanc. » Non, non, non… être noir, c’est carrément une maladie ? Alors j’ai triché en faisant croire que j’allais tourner deux fins, qu’on choisirait la meilleure. Au montage, j’ai joué le bêta : « Oh, Captain, j’ai oublié de tourner l’autre fin ! » Ils piquent une crise ! L’auteur du script [Herman Raucher] hurle à la trahison ! Tourner une autre fin coûtait une fortune et puisqu’ils n’étaient pas racistes à ce point, on garde la mienne. Le film marche bien et les producteurs me disent que je suis « génial ».
Puis Sweetback est un succès colossal….
Mollo. Personne ne savait que Sweetback serait un tube. Qui m’a valu d’être blacklisté, je ne pouvais plus tourner. Quel était le prochain challenge ? Je suis devenu producteur de comédies musicales à Broadway, qui ont bien marché aussi. Et quoi après ? OK, la bourse !
Et oui, vous arrêtez le cinéma pour devenir le premier trader noir de Wall Street !
Qu’est-ce que je faisais, rappelle-toi, avant d’arriver en France ? Des mathématiques. Alors, alors ? Je calculais vite, formidable, 3, 6, 9, 14, 19 ! Boum ! C’est moins cher ici ! On revend ! Tout simplement, comme un renard au milieu des poules. Ils ne pensaient pas que j’en étais capable, j’en ai fait un livre, devenu un best-seller.
Vous avez aussi étudié un an l’astronomie aux Pays-Bas. Pensez-vous que la fin du monde aura lieu le 21 décembre 2012, comme le prévoyaient les Mayas ?
Combien de temps on a, encore ? Oh, merde ! [Se tournant vers son attachée de presse] Tu fais quoi ce soir ? [Eclat de rire.]
Merci.
De rien. Faut pas le dire, mais c’est un plaisir.

Standard n°23 – avril 2009

Ecrive toujours
« J’écris quand ca me chante. Mais je ne garde rien pour moi : je cherche des trous où m’engouffrer. J’essaye de faire un opéra de Sweetback. Il y a trois semaines, j’ai terminé et vendu les croquis d’un roman graphique adapté de mon dernier film, Confessions of an exDoofus-ItchyFooted Mutha [2008] où j’apparais comme dans cette conversation, comme un gamin de 14 ans. [Il se lève pour nous en faire écouter la bande-originale jazz-funk qu’il a lui-même composée.] A mon retour, je fais un tour de chant. Des chansons à moi. [Il montre une pochette avec un portrait de lui, parodiant celui d’Aristide Bruant sous ce titre : « l’origine du rap »].