Laurent Sciamma : meilleur espoir
Pour Laurent Sciamma, faire quelque chose de cool, c’est politique

« La foule observe la France qui se vide. Je peux aimer la France et pour autant avoir envie de la quitter lorsqu’on me la présente comme la France de Sarkozy. »
Il arrive, apparemment content de son début de journée, le visage flanqué d’un de ces sourires qui font sourire. Les cafés crème s’enchaînent, le cendrier se remplit. Pendant la campagne présidentielle, Laurent Sciamma, 26 ans, réalise pour le site du Parti Socialiste un compte rendu graphique en vidéo d’une semaine de campagne. Et quand il parle, c’est peut-être moins pour répondre à nos questions que parce qu’il adore ça.
Qu’est-ce qui t’a mené au graphisme ?
Laurent Sciamma : J’ai d’abord fait des études d’histoire et plusieurs années de théâtre. J’avais un goût très prononcé pour la presse et les magazines, quels qu’ils soient, tant qu’ils avaient de la gueule et du style. J’attachais de l’importance à l’objet, à l’aspect formel – la DA (direction artistique), la photo, la typo. Je lisais des magazines de skate comme Sugar ou Transworld, de graffiti avec la première époque de Graff It, ou XL Le Magazine, un news mag pour ados. Mais j’ai eu un déclic lors du montage d’un film de vacances fait avec des potes. J’ai pris un plaisir dingue à le faire et à le montrer. Revenir à Paris et s’amuser comme ça au quotidien, ça ne donne plus tellement envie d’aller en cours !
Puis tu postes tes dessins sur le Web et ça devient ton métier ?
J’avais mis de côté le fait que je pouvais vivre en faisant des petits dessins, des stickers et des affiches. C’était un peu mon jardin secret. C’est a posteriori que je me suis rendu compte que mon blog (laurentsciamma.tumblr.com, ouvert en août 2010) a fait se rencontrer l’actualité, le regard de l’histoire sur les sociétés, la politique ou les problématiques de citoyenneté.
Internet te permet de réagir à chaud…
Oui, il propulse sur un terrain de jeu où le but n’est pas d’imposer ton opinion mais de débattre, de partager. J’apporte un argument plutôt qu’une conclusion. Je pose une pierre à l’édifice par le biais des forums, des articles, de Twitter, et de cette capacité d’indignation sur la Toile.
Faut-il taper fort pour que les gens réagissent ?
Pas toujours. Il arrive qu’un sujet grave puisse et doive être traité légèrement pour en accentuer la gravité. Par exemple, écrire « Islam » comme une onomatopée de BD old school montre à quel point on l’agite en menace de façon évidente et grossière. Parfois, je pose huit points d’interrogation et quatre d’exclamation parce qu’il faut crier. A d’autres moments, trois points de suspension suffisent parce que la réponse est dans la question. Il faut savoir être impactant en parlant très doucement. L’idée est toujours de transmettre un message. Mais parfois le message, c’est qu’il n’y en a pas.

Ecrire « Islam » comme une onomatopée de BD old school montre à quel point on l’agite en menace de façon évidente et grossière
Mais on comprend quand même… c’est de l’impertinence ?
On peut être impertinent en parlant à la place de l’autre ou en l’imitant, pas en lui chiant à la gueule ou en dessinant Marine Le Pen sous la forme d’une merde [les fausses affiches de campagne de Charlie Hebdo]. Je reste convaincu, et c’est en ça que c’est un vrai métier, que ce n’est pas en mettant du rose qu’on est romantique, ni en écrivant en gras qu’on est puissant.
Comment définis-tu ton graphisme ?
Comme la rencontre entre le dessin de presse, le graphisme classique (l’art de l’affiche européen et américain), la titraille, la typographie et les jeux de mots à la Libération. Sur le fond, il y a un esprit presque publicitaire qui va chercher à décaler le regard, à illustrer très littéralement et au premier degré quelque chose qui ne l’est pas. L’idée, c’est d’arriver à quelque chose de cool. C’est mon maître mot, ça veut dire que ça parle de son époque.
Comment décales-tu ton regard ?
Je suis très influencé par le travail des directeurs artistiques américains qui rendent l’information sexy, comme Arem Duplessis au New York Times Magazine et les images puissantes dans une dimension quasi publicitaire. Dans les magazines français, si ce n’est Libération ou Télérama, qui ont une forte identité graphique, il n’y a pas ce ton et ce style-là. Mon ambition est de remplir, à ma petite échelle, un espace vacant, made in France !
Tu travailles pour le Parti Socialiste. Aurais-tu accepté si d’autres te l’avaient proposé ?
J’avais le désir de m’engager pour la victoire de la gauche en 2012. La directrice de la communication du PS a accroché. Je lui avais envoyé une vidéo dans laquelle j’anime des t-shirts pour illustrer vingt ans de politique, de 1981 à 2011. Tout le monde en prend pour son grade – Nicolas Sarkozy un peu plus que les autres. Ils m’ont demandé de faire la même chose une fois par semaine pour leur site. J’ai trouvé le concept de « Mot à Mot », de la typographie sans animation, juste du montage, du sound-design et une voix-off qui rythme le tout.
Les messages et les images politiques sont souvent détournés. Et si ça t’arrivait ?
La typographie permet d’incarner la politique différemment. Je ne veux pas être dans la caricature ni manquer de respect à nos adversaires en représentant Sarkozy tout rabougri ou Bayrou avec des grandes oreilles décollées. La vulgarité de Nadine Morano ne m’intéresse pas. Je préfère dessiner quelque chose sur son incompétence ou sur les heures qu’elle passe à tweeter.

« J’aime beaucoup le orange, c’est la couleur de l’urgence. Les banlieues pouvaient exploser à tout moment. La flamme est éteinte, mais il suffit d’enclencher le mécanisme pour que ça s’embrase. »
En dessinant avec le moins d’éléments possible ?
Oui. Je ne suis pas un grand dessinateur. Il faut faire de ses limites une force. Je reste dans ce minimalisme, pas besoin de fioritures pour qu’une idée passe, je ne veux pas qu’on soit impressionné par le foisonnement. C’est aussi une question de rapidité : une heure après avoir eu l’idée, elle est affichée sur mon écran. Je traite de sujets graves avec des moyens simples et légers, je parle de l’actualité avec le langage qu’on emploie pour vendre du dentifrice ou une planche de skate. J’aime l’idée qu’on puisse être un problem solver tout en gardant son style, c’est ça l’essence des arts appliqués.
Quelles sont tes influences ?
George Lois [DA du magazine Esquire], des graphistes américains tels que Saul Bass, qui faisait les génériques d’Hitchcock, et Paul Rand, qui a créé énormément de logos célèbres [IBM, Ford…]. Des graphistes européens et français, de Savignac [les pubs de Bic à Perrier] à Roman Cieslewicz [affiches pour Amnesty International, notamment], des dessinateurs de presse comme Pétillon ou Cabu, des séries comme Les Simpson, l’esprit Canal, Les Nuls, Les Inconnus, Art Spiegelman, dont je suis en train de lire MetaMaus. Et surtout Banksy. C’est presque un lieu commun, mais c’est le meilleur représentant du street art.
Ton père, Dominique, est un designer écouté par ses confrères, ta sœur Céline une réalisatrice reconnue [Naissance des pieuvres, 2007, Tomboy, 2011]. Ça t’a aidé ?
Mon père a défendu toute sa vie l’idée que rien n’était acquis, que tout pouvait être modifié. Ma sœur fait un peu la même chose. Tout ça c’est politique, au sens le plus noble et le plus large du terme. C’est politique de parler de la Shoah avec des souris [Art Spiegelman dans Maus] comme de parler de sexualité et de genres au cinéma [comme Céline Sciamma] ; c’est politique de lier la typographie à l’humour.